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mais il comprenait si bien la grandeur et la beauté de ces deux cartons qui résolvaient d’une façon éclatante les problèmes les plus difficiles de la peinture, il était si profondément pénétré du bonheur qui lui était échu, il acceptait avec tant de reconnaissance les leçons que lui offraient Michel-Ange et Léonard, qu’il n’hésita pas à se débarrasser, comme d’un bagage inutile, de tout ce qu’il avait appris dans l’école du Pérugin. On sait que le carton de Léonard représentait un groupe de cavaliers, et que celui de Michel-Ange, emprunté à la guerre de Pise, se composait de soldats surpris au bain par un détachement ennemi. Dans ces deux cartons, Léonard et Michel-Ange avaient accumulé comme à plaisir toutes les difficultés que peut rêver l’imagination la plus hardie. Animés d’une émulation généreuse, ils avaient voulu montrer toute leur science et résumer en quelque sorte leurs études. Si la force leur eût manqué, on aurait pu les accuser d’ostentation ; comme l’habileté de la main était à la hauteur de la volonté, ce reproche tombait de lui-même et faisait place à l’étonnement. Raphaël contemplait avec ivresse ces deux ouvrages qui n’ont jamais été surpassés, et remerciait Dieu de l’avoir appelé à la vie dans un siècle honoré par de tels maîtres. Pourtant, quelle que fût son admiration pour le carton de Michel-Ange, il se sentait entraîné par une prédilection toute-puissante vers le carton de Léonard. La manière savante dont Michel-Ange avait dessiné ses figures, les attitudes variées qu’il leur avait données, la précision avec laquelle il avait représenté tous les muscles mis en mouvement, excitaient en lui une légitime surprise ; mais il se sentait ramené par un attrait invincible vers le groupe de cavaliers où Léonard avait su concilier l’énergie et la beauté. Dans le carton de Michel-Ange, la science domine tout et offre au spectateur tant de sujets d’étude, que l’esprit satisfait ne songe pas à se demander si tous les détails de cette composition peuvent être approuvés par un goût sévère. Entre ces deux modèles, il ne devait pas hésiter long-temps. Il passait de longues heures devant le carton de Michel-Ange, et s’efforçait de conquérir le savoir infini qui resplendit dans cette œuvre ; mais sa passion pour la beauté le conduisait plus souvent encore devant le carton de Léonard. Nous ne savons pas si le Sanzio se lia d’amitié avec le Vinci : à cet égard, les biographes gardent le silence. Toutefois, qu’ils aient eu ou non l’occasion de se rencontrer, Raphaël dut rechercher avidement toutes les œuvres de Léonard. Ces deux intelligences poursuivaient avec la même ardeur la grace et la beauté ; en voyant les têtes peintes par le Vinci, ces têtes dont le sourire et le regard ont quelque chose de divin, le Sanzio dut se réjouir comme un poète qui voit son rêve prendre un corps et marcher devant lui.

Michel-Ange et Léonard ne furent pas les seuls maîtres consultés à Florence par Raphaël ; les leçons de ces deux maîtres illustres, si féconds et si variées, ne pouvaient épuiser la curiosité d’un esprit tel