Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la campagne des habitudes grossières, que son imagination ne perdît loin de la famille la fleur de sa pureté, elle le garda près d’elle et suivit d’un œil jaloux tous les instincts qui se révélaient dans cette ame naturellement portée à la tendresse. Entre les caresses de sa mère et les leçons de son père, Raphaël grandit et suivit l’impulsion de sa pensée. Dès qu’il sut manier un pinceau, comprenant toute l’importance de la docilité, ou plutôt devinant ce qu’il ne pouvait comprendre encore, pressentant par intuition toute la fécondité de l’obéissance, après avoir esquissé d’une main rapide les caprices de son imagination naissante, il consacrait de longues heures à aider son père dans ses travaux. Il exécutait comme un ouvrier dévoué les pensées qu’il n’avait pas conçues et achevait avec bonheur la tâche qui lui était assignée. Cette vie laborieuse et obscure aurait pu durer plusieurs années, si Giovanni de’ Santi ne se fût aperçu que son élève, grace à sa docilité merveilleuse, en savait déjà autant que lui et ne pouvait plus rien apprendre sans le secours d’ un maître plus savant. Si le père de Raphaël eût connu l’avarice, il aurait gardé son fils près de lui, et, trouvant dans ce talent précoce une mine à exploiter, il se fût bien gardé de le confier à des mains plus habiles. Heureusement Giovanni de’ Santi comprenait toute la gravité, toute l’étendue des devoirs qui lui étaient imposés ; il se fût reproché comme une faute indigne de pardon d’entraver le développement des facultés merveilleuses que le ciel avait départies à son enfant. Il eût rougi d’enchaîner l’essor de cette ame active et passionnée pour entasser dans sa maison quelques sacs d’écus. Il n’avait qu’un fils et vivait en lui tout entier ; éclairé par un instinct tout-puissant, il entrevoyait déjà la gloire qui allait couronner ce jeune front, et sentait qu’il ne pouvait garder plus long-temps son fils près de lui sans méconnaître la volonté divine. Pierre Vanucci, connu dans l’histoire de la peinture sous le nom du Pérugin, jouissait alors d’une éclatante renommée ; Giovanni de’ Santi résolut de lui confier l’éducation de Raphaël. Il se rendit à Pérouse pour arrêter les conditions de l’engagement, car, au XVe siècle, on ne pouvait entreprendre l’étude de la peinture sans passer avec le maître qu’on avait choisi un véritable contrat d’apprentissage. La biographie des artistes les plus célèbres ne laisse aucun doute à cet égard. Le Pérugin était à Rome et devait revenir dans quelques semaines. En attendant son retour, pour ne pas perdre son temps, Giovanni de’ Santi fit marché pour la décoration d’une chapelle et se mit à l’œuvre. Dès que Pérugin fut revenu, Giovanni, avant de lui communiquer son projet, s’efforça de gagner son amitié. Une fois admis dans son intimité, il lui parla de son fils et des espérances qu’il avait conçues : Pérugin accueillit avec un sourire bienveillant cette confidence, empreinte à la fois de tendresse et d’orgueil ; il ne pouvait rien décider, rien prédire, rien promettre, avant d’avoir vu les dessins