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XVIIe mais je ne crois pas qu’il soit d’avant 1610, car il servait encore activement en 1664, et il ne mourut qu’en 1685, comme on l’apprend par hasard d’un mot échappé à la plume de Dangeau. Il était cadet d’une noble maison du Poitou. Son aîné, M. de Plassac-Méré, paraît s’être mêlé aussi de bel-esprit, et il correspondait avec Balzac. On a quelquefois confondu les deux frères[1]. Le chevalier ne commence à poindre dans les Lettres de Balzac qu’en l’année 1646 ; c’est bien à lui que ce grand complimenteur écrivait : « La solitude est véritablement une belle chose, mais il y auroit plaisir d’avoir un ami fait comme vous, à qui l’on pût dire quelquefois que c’est une belle chose[2]. » Et encore « Si je vous dis que votre laquais m’a trouvé malade, et que votre lettre m’a guéri, je ne suis ni poète qui invente, ni orateur qui exagère ; je suis moi-même mon historien qui vous rend fidèle compte de ce qui se passe dans ma chambre[3]. » Le chevalier, dans cette lettre, est traité comme un brave et comme un philosophe tout ensemble ; il avait servi avec honneur sur terre et sur mer[4]. Avant même de s’être retiré du service et dans les intervalles des campagnes, il ne songeait qu’à vivre agréablement dans le monde, tantôt à la cour et tantôt dans sa maison du Poitou, par où il était assez voisin de Balzac. Celui-ci fut son premier modèle et son grand patron en littérature. En dédiant au chevalier ses Observations sur la Langue françoise, Ménage lui disait : « Quand je vins à Paris la première fois, vous étiez un des hommes de Paris le plus à la mode. Votre vertu, votre valeur, votre esprit, votre savoir, votre éloquence, votre douceur, votre bonne mine, votre naissance, vous fesoient souhaiter de tout le monde. Toutes ces belles qualités me furent

  1. Cette confusion a pu se faire d’autant plus aisément, qu’on dit que le chevalier de Méré avait d’abord paru dans le monde sous le nom de Plassac. Il y aurait bien ici quelque petite difficulté à éclaircir sur ces noms et qualités de famille et sur ces deux frères ; mais à quoi bon ? (Voir dans les Éloges de quelques Auteurs françois, par Jolly, l’article qui concerne M. de Méré, et aussi M. de Monmerqué dans la Biographie universelle.)
  2. Lettre du 6 juin 1646.
  3. Lettre du 24 août 1646.
  4. Il servait encore en 1664, et il fit partie de l’expédition navale contre les pirates de Barbarie, laquelle, après un assez brillant début, eut une triste fin. Dans la Gazette extraordinaire du 28 août 1664, qui annonce la prise de la ville et du port de Gigéry en Barbarie par les armées du Roy, sous le commandement du duc de Beaufort, général de Sa Majesté en Afrique, le chevalier a l’honneur d’être mentionné. Après le détail du débarquement et de la prise de la place, on y lit que, le lendemain, les Maures, qui s’étaient retirés sur les hauteurs, vinrent assaillir une garde avancée ; le duc de Beaufort, accouru au bruit de l’escarmouche, s’étant mis à la tête des Gardes, et le comte de Gadagne à la tête de Malte, repoussèrent vertement les assaillans - « Tous les officiers des Gardes qui étoient en ce poste, dit le bulletin, et ceux qui survinrent, tant de leur corps que de celui de Malte, s’y comportèrent très dignement… Les chevaliers de Méré et de Chastenay y furent blessés des premiers. » On peut conjecturer, d’après la teneur de ce bulletin, que M. de Méré était chevalier de Malte et servait sur les galères de l’Ordre.