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les Roumains se jettent dans les bras des Turcs, où ils voudraient trouver un abri suffisant contre les caresses ou les menaces de la diplomatie moscovite. Certes, les Moldo-Valaques prétendent tenir leur drapeau national à la hauteur où Théodore Vladimiresco l’a placé ; mais ils ne veulent pas plus que lui s’associer à une politique qui aurait pour but et pour effet la ruine de l’empire ottoman. S’il y avait à Jassy ou à Bucharest un parti qui fût révolutionnaire, qui prêchât l’indépendance des principautés, qui cherchât à briser les liens de vassalité par lesquels la Moldo-Valachie se trouve solidaire de la destinée de l’empire ottoman, ce ne pourrait être que ce parti gréco-russe qui, redoutant l’âge mûr de la Romanie, a déjà plus d’une fois tenté de la lancer dans les aventures pour mieux l’étouffer dans son berceau ; ce serait ce déplorable parti gréco-russe qui, en mettant les Fanariotes Ypsilanti et Mavrocordato à la tête de la glorieuse insurrection de l’Hellade, l’eût fait tourner au profit de la Russie, sans le patriotisme et la prévoyance des vrais Hellènes du Péloponèse et des îles ; ce serait ce même parti gréco-russe qui, en 1842, agitait la Bulgarie, l’ensanglantait, et, pénétrant les armes à la main dans la ville valaque d’Ibraïla, tentait vainement d’entraîner la principauté dans une insurrection où elle n’eût triomphé que pour tomber sous la main des Russes. Heureusement cette tentative insensée ne réussissait qu’à faire ressortir une fois de plus la prudence des Roumains et à mériter à la Russie cette solennelle déclaration du vieux Buzoiano, président du tribunal chargé du jugement de l’affaire, « qu’il n’y avait pas à poursuivre dans une question où à chaque pas la justice découvrait pour principal coupable sa majesté l’empereur de toutes les Russies. » Les Moldo-Valaques sont donc les soutiens de la paix, de la stabilité, de l’intégrité de l’empire turc contre la Russie, puissance essentiellement révolutionnaire en Orient.

Cet état des esprits en Moldo-Valachie est d’une importance considérable pour le présent et pour l’avenir de la Turquie d’Europe. Soit que la Russie la menace un jour, la force en main, ou s’applique à la ruiner sourdement par les influences morales du panslavisme, les Moldo-Valaques sont pour la Turquie sur le Danube un rempart à la fois matériel et moral. Si l’on considère que les Bessarabes occupent tout le territoire compris entre le Dniester et les embouchures du Danube, et que d’ailleurs la route ordinaire de Moscou en Bulgarie et à Constantinople traverse la Moldavie et la Valachie, on voit que les Russes ne peuvent franchir le Danube sans passer par-dessus le corps des cinq millions de Roumains de ces trois provinces. Depuis que la Pologne a succombé et qu’elle a cessé d’être militairement à l’avant-garde de la Turquie comme de l’Occident, les Moldo-Valaques sont donc les premiers en ligne pour la défense de l’empire turc, et le roumanisme se trouve l’adversaire naturel des Russes, l’allié nécessaire de quiconque,