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russe s’est trouvé, dans ce moment-là, mal renseigné par son consul. Il n’en est d’ailleurs que plus urgent pour la Russie d’aider les Grecs à étouffer, une fois pour toutes, les folles et mesquines espérances de la nation roumaine. Évidemment l’écrivain fanariote n’a pas pris la plume sans consulter les intentions de la cour protectrice, et ce livre est le symptôme de l’alliance qui se resserre entre les Grecs et les Russes.

Une telle alliance complique gravement la situation du roumanisme ; mais peut-elle entraver son essor ? N’est-il pas assez affermi, assez fort du sentiment de son droit ? Et qui pourrait l’arracher aujourd’hui du cœur des populations ? Il s’indigne toutefois de l’inique mépris avec lequel les fils des Fanariotes traitent les descendans des colons de la Dacie trajane et leur ravissent, au profit des Russes, la gloire de leur moderne restauration. Il s’indigne de la hardiesse inattendue avec laquelle les Russes s’attribuent ainsi le mérite d’avoir semé dans la Romanie les premiers germes de la civilisation. Il s’indigne des défis de ce panslavisme de fabrique nouvelle, façonné dans les officines du Fanar, et qui ose parler dédaigneusement de sa bienveillance à un peuple latin justement fier de ses ancêtres. Sans doute il va bien se trouver quelque savant, quelque poète pour évoquer le souvenir des vaillans soldats qui illustraient la chrétienté sur les bords du Danube avant que les Russes fussent encore autre chose qu’une horde barbare, ignorée de ses propres voisins. Poètes ou savans pourraient aussi rappeler à ces prôneurs de la civilisation moscovite tous les noms des écrivains moldo-valaques qui, au XVIIe et au XVIIIe siècle, fondèrent en Russie les premières écoles et les premières universités, devinrent les précepteurs, les conseillers, ou les ambassadeurs de ses souverains, et portèrent au moins un reflet de la science européenne dans ces froides régions, où la lumière n’avait pas encore pénétré, et où le christianisme lui-même n’avait pu se faire jour sans perdre toute fécondité et toute chaleur[1]. Enfin les légistes pourraient dire ce que la législation de Pierre-le-Grand a emprunté aux codes moldaves, tandis que les publicistes raconteraient les bienfaits par lesquels ces services ont été pavés, ces embrassemens dans lesquels la Russie pensa plusieurs fois étouffer les Roumains par excès d’amitié, les douceurs de l’occupation de 1829, la munificence des traités, le droit de garantie transformé en protectorat réel par pur désintéressement, l’alliance russo-fanariote inventée exprès pour moraliser les principautés, et enfin cette belle et libérale législation envoyée à Bucharest, au bout des baïonnettes, par l’un des

  1. Il suffit de citer, parmi ces noms, Movila, fondateur de l’académie spirituelle de Kief ; Nicolas Milesco, précepteur de Pierre-le-Grand et le premier ambassadeur de la Russie en Chine ; Démétrius Cantemir, favori de ce même prince et fondateur de l’académie des sciences ; Antioche Cantemir, qui a écrit en slave et contribué beaucoup à la naissance de la littérature russe.