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Bibesco se soit assuré une chambre servile, il a gouverné, depuis cette époque, dans un sens plus élevé et plus national.

Aujourd’hui donc, les Fanariotes, encore une fois effrayés de la lenteur de leurs manœuvres, en sont réduits à chercher des ressources nouvelles. Au moment où la Russie elle-même est forcée de reculer ostensiblement pour voiler devant la Turquie et devant l’Europe les scandales de sa diplomatie[1], les Grecs se mêlent de la défendre et renouent plus intimement que jamais leur alliance avec elle, en appelant toute sa haine sur le prince des vieux Valaques[2]. Le passé et le présent se trouvent exactement résumés dans cette contestation qui s’agite sous nos yeux et qui clot l’histoire du mouvement roumain. La pensée nationale de la Moldo-Valachie est évidemment l’objet que les Fanariotes essaient d’atteindre à travers le corps de l’hospodar. Ils ont pour leur usage une érudition toute particulière, à l’aide de laquelle ils se mettent en tête de contester aux Roumains leur origine, leur gloire ancienne, leur civilisation, et jusqu’aux droits si restreints que leur pâle constitution leur assure. Écoutez ces savans docteurs pour qui les annales du passé avaient conservé leurs secrets, ces généreux esprits dont les aïeux ont illustré les derniers siècles par leurs vertus, ces honnêtes et rigides politiques qui ne respirent que pour l’intérêt de la justice les huit millions d’hommes qui peuplent la Romanie sont les descendans des criminels que Rome envoyait en exil sous la garde des légions chargées de défendre les frontières de l’empire. Ils n’ont été, durant tout le moyen-âge, que des barbares croupissant dans l’ignorance, grossiers et corrompus. Il a fallu que les Russes, et sans doute aussi les Fanariotes, vinssent leur apporter les lumières et la morale évangélique. Il a fallu que les czars entreprissent contre la Turquie des guerres sanglantes, tout exprès pour sauver de la barbarie ces populations sans intelligence et sans vigueur. Aussi l’humanité de la Russie est-elle incomparable ; les deux plus grands actes des temps modernes, la restauration de la Grèce et l’émancipation des Moldo-Valaques, sont le fait de sa générosité. Les Roumains n’étaient pas dignes de recevoir ces services des Slaves russes ! Et qu’est-ce, en définitive, que le roumanisme, sinon une ingratitude sans égale, une insulte à cet astre naissant, à ce panslavisme qui, fécondé vraisemblablement par le Fanar, est l’espoir de l’Orient ? Si la Russie a semblé un moment appuyer le parti des vieux Valaques dans la personne du prince Bibesco, c’est que le cabinet

  1. Les choses ont été poussées au point que le consul russe à Bucharest a dû être rappelé et désavoué.
  2. Les Gréco-Russes de Bucharest ont publié leur opinion en français dans un écrit qui porte l’empreinte profonde de la perfidie fanariote, et mérite d’être lu à titre d’étude de mœurs : la Principauté de Valachie sous le hospodar Bibesco, par B. A., ancien agent diplomatique dans le Levant. Bruxelles, 1847.