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sur les destinées de la Romanie. Les patriotes valaques se plaisent à admirer dans cette croyance le culte naïf de la nationalité, et, dans l’ardeur de leur foi en une religion pareille, ils souhaiteraient volontiers, je pense, que l’on mît partout l’image du divus Trajanus à la place des saints de leur église, trop suspects de partialité pour les Russes.

Bucharest reproduit assez fidèlement les mœurs et la physionomie de toutes les populations valaques. Bien que la race n’y ait point ce degré de pure et franche beauté auquel elle atteint dans les sites agrestes de la Transylvanie et du banat de Craïova, on y peut en revanche observer les classes élevées de cette population sous un jour nouveau et plein d’attrait. Bucharest, avec ses maisons blanches et ses cent dix églises d’un style byzantin, ornées chacune de plusieurs clochers, s’étend, à perte de vue, dans une plaine sans fin du côté de l’est, et terminée au nord-ouest par les lointains glaciers des Carpathes. À peine a-t-on franchi les barrières, gardées par une police des plus minutieuses, que l’on se sent au milieu de l’agitation d’une grande ville, et que l’on y peut constater toutes les traces d’une civilisation qui commence et qui marche. À côté de quelques bouges repoussans, bâtis à moitié sous terre, et de huttes enfumées, inabordables, à côté de ces maisons disséminées comme en un grand village, de riches magasins et de somptueux hôtels s’élèvent chaque jour en se rapprochant, et ainsi, chaque jour, la capitale de la Valachie se dépouille de son caractère oriental pour prendre l’aspect des villes de l’Occident.

Aussi bien, de tous les points de la principauté, la noblesse afflue à Bucharest ; il est de bon ton d’y séjourner en hiver. La noblesse de Moldavie se porte de la même façon à Jassy, qui offre également beaucoup de ressources à l’oisiveté. Cependant les boyards moldaves ne dédaignent point de passer quelquefois la saison à Bucharest, qui est le vrai centre de la Romaine, et qui se pique de mériter son nom de ville de la joie. Ils viennent tranquillement s’abreuver aux ondes enchantées de la Dembovitza, dont, suivant un dicton populaire, l’on ne se rassasie jamais, et qui vous attache à ses rives par le plaisir d’y puiser toujours[1]. L’hiver rassemble à Bucharest tous les hommes lettrés ou aisés de la Valachie ; mais, au printemps, ils se hâtent de retourner vers leurs villas dans les montagnes, à moins qu’ils ne préfèrent remonter d’un trait le Danube, pour aller chercher de nouveaux amusemens à Vienne, ou, si quelque patriotisme les guide, pour venir étudier les peuples latins, les frères aînés des Valaques, l’Italie par exemple, « où la colonne trajane, comme le dit le poète roumain Assaki,

  1. D’mbovitza, apa dulce !
     Quine obea nu se mai duce.
    « Dembovitza, eau douce ! qui en a bu ne s’en va plus. »