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au moins bien différente. Ne serait-ce pas là ce qu’il y aurait de plus révolutionnaire dans la révolution ?

Non, car la crise financière est plus urgente encore que la crise morale. Là, sérieusement, est le côté grave et périlleux du moment, et là aussi le point par où l’on ne saurait trop énergiquement engager tous les bons citoyens à prêter au gouvernement l’aide la plus active, la plus sincère, la plus dévouée. Le gouvernement déchu laisse une mauvaise situation d’argent ; le coup même de sa déchéance empire encore le mal. Les sociétés modernes ne peuvent plus vivre sans crédit, et vivre du crédit, c’est presque toujours en abuser. Le crédit, c’est la confiance, et la confiance ne raisonne pas, mais malheureusement la peur non plus. L’honnête et courageux rapport de M. Garnier-Pagès a démontré de reste combien l’on avait peu raisonné la confiance ; il a par contre soulevé la peur, les expédiens qu’il a mis au jour n’étant pas de nature à tranquilliser l’argent, qui n’aime pas qu’on en use si brusquement avec lui. L’argent va où il lui plait et non point ailleurs. L’argent va chercher l’argent. Ce serait assurément très beau de lui donner une impulsion morale, de le moraliser en le poussant au sacrifice ; mais l’argent ferait alors du patriotisme et non plus du commerce. Or, le commerce peut bien s’ennoblir par le patriotisme, il ne peut pas en vivre. Ainsi, par exemple, le commerce manque de ressources et court après les capitaux qui se resserrent : on en appelle de sa détresse à sa générosité, et on l’invite à s’assister lui-même pour la formation d’un grand comptoir d’escompte où, la ville et le trésor versant du papier à long terme, il versera seul du numéraire. C’est à peu près supplier la main gauche de secourir la main droite et prendre l’argent qu’on peut avoir dans une poche pour l’introduire dans l’autre, où l’on est sûr de n’en avoir pas. C’est une ressource plus apparente que réelle et qui n’ajoute rien à la somme circulante sans ajouter beaucoup à la facilité de la circulation. Que devient d’ailleurs cette facilité, si, par mauvaise humeur, on menace plus ou moins officiellement les souscripteurs attardés de les transformer en débiteurs obligés par devant l’opinion en les rattachant à la publicité comme à un pilori ? Il faut en prendre son parti. Il y aura peut-être encore des pouvoirs révolutionnaires qui décréteront des emprunts forcés ; il n’y aura pas d’emprunts forcés qui raffermissent le crédit.

Nous ne voulons pas incriminer les mesures sommaires par lesquelles le ministre des finances arrive tant bien que mal à remplir les caisses de la république, la vente des domaines de la liste civile, celle des diamans de la couronne, celle des bois de l’état, la modification des paiemens dans les caisses d’épargne, l’émission de l’emprumt national. La critique est partout déjà faite, et, nous ne tenons point à propager l’alarme. Chacun a le droit d’avancer des propositions qu’il eût trouvées meilleures ; la discussion aurait ensuite décidé. Nous nous bornons, quant à nous, à répéter une observation que nous avons entendue de toutes parts : c’est qu’on dirait que le nouveau gouvernement a juré d’expédier à lui seul toute la besogne de l’assemblée nationale. Le public incline à croire qu’on s’est pressé plus que de raison de chercher des solutions définitives à la question financière comme à beaucoup d’autres, et, s’il y avait pour les gouvernans provisoires cette loi de responsabilité qu’on n’a jamais pu rédiger à l’encontre des ministres constitutionnels, ils devraient déjà songer à solliciter au prochain parlement un bill d’indemnité.