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par des décrets de l’autorité, et la négative nous a été démontrée ; mais il est certain qu’on peut, par des règlemens fiscaux ou autres, diminuer la proportion des objets de première nécessité qu’un travailleur se procurerait en échange de son salaire, s’il était plus libre, s’il vivait sous un régime où l’on eût pensé davantage à lui. Des impôts justement impopulaires, et des tarifs de douane conçus dans l’intérêt de quelques-uns au mépris de l’intérêt général de la société, peuvent avoir et ont en effet ce déplorable résultat. Les choses se passent alors à l’égard des populations ouvrières exactement comme si, l’état naturel des choses n’étant pas troublé par la fiscalité ou par l’esprit de privilège, on eût diminué leur salaire, ou encore comme si par une loi l’on eût confisqué et précipité au fond de la mer une partie du capital qui alimentait l’activité industrielle de la nation. Un gouvernement qui aurait la fibre vraiment populaire s’abstiendrait de tout règlement semblable, et réformerait avec empressement tout ce qu’il trouverait d’institué dans ce genre. Aux États-Unis, la main du législateur sècherait plutôt que de signer une loi qui tendrait sous un prétexte quelconque à enchérir le pain ou la viande.

J’ai insisté dans plusieurs passages de cet article sur ce que l’habileté du travailleur, son goût pour le travail, son zèle, formaient un capital extrêmement précieux et d’une rare puissance. Ce capital a cela de particulier, qu’il appartient tout entier à l’ouvrier. Un gouvernement populaire doit donc s’attacher spécialement à accroître ce capital. Il en a le moyen par l’instruction professionnelle, instruction dont nous n’avons encore en France que des rudimens imparfaits et bien épars. Une seule de nos métropoles est bien dotée, c’est Lyon, et elle le doit non à la munificence à l’état, mais à un pieux legs de deux de ses enfans, le major-général Martin et M. Eynard. Ajoutons pourtant qu’elle en est redevable aussi, pour une bonne part, aux lumières et au bon sens de quelques-uns de ses citoyens qui ont conçu pour la circonstance et mis en pleine activité une admirable méthode d’enseignement et un excellent plan d’études et d’éducation[1]. Toutes nos grandes villes devraient avoir une école du genre de la Martinière de Lyon. De moindres institutions existeraient, dans nos moindres cités, et, pour les campagnes, on imiterait ce qu’ont fait avec succès plusieurs gouvernemens en Allemagne[2].

Et pour conclure, disons-le de nouveau, ces améliorations qui auraient été reçues avec une affectueuse reconnaissance par les populations ouvrières il y a quelques années, qu’aujourd’hui les ouvriers de

  1. Je tiens à nommer le commandant du génie Tabareau, auteur de la méthode, et le commandant Monmartin.
  2. C’est un des projets qu’on se préparait à mettre en exécution avant la révolution.