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avantages qu’il présenterait aux sociétaires, travailleurs et capitalistes. Au bout d’un certain temps, on verrait se produire, sans usurpation, sans injustice, sans désastres irréparables, et au profit du principe de l’association, le phénomène qui, aujourd’hui, se produit si déplorablement, et à force de tyrannie, au profit de l’égoïsme individuel. Un industriel très riche aujourd’hui peut, en frappant un grand coup sur ses rivaux, les laisser morts sur la place et monopoliser toute une branche d’industrie. Dans notre système, l’état se rendrait maître de l’industrie peu à peu, et, au lieu du monopole, nous aurions, pour résultat du succès, obtenu la défaite de la concurrence : l’association.

« Supposons le but atteint dans une branche particulière d’industrie ; supposons les fabricans de machines, par exemple, amenés à se mettre au service de l’état, c’est-à-dire à se soumettre aux principes du règlement commun. Comme une même industrie ne s’exerce pas toujours au même lieu et qu’elle a différens foyers, il y aurait lieu d’établir entre tous les ateliers appartenant au même genre d’industrie le système d’association établi dans chaque atelier particulier ; car il serait absurde, après avoir tué la concurrence entre individus, de la laisser subsister entre corporations. Il y aurait donc, dans chaque sphère de travail que le gouvernement serait parvenu à dominer, un atelier central duquel relèveraient tous les autres, en qualité d’ateliers supplémentaires… »


S’il m’est permis de résumer en trois lignes cet exposé, je dirai que l’organisation du travail de M. Louis Blanc consiste dans les innovations suivantes : 1° la suppression de la concurrence ; 2° sauf une période de transition, l’égalité absolue pour tous, sans qu’il fût tenu compte de l’habileté et de l’activité de chacun ; 3° l’abolition de tout profit pour le capital au-delà de l’intérêt légal ; 4° l’élection des chefs et sous-chefs des travaux industriels par les inférieurs.

En conscience, je crois qu’il suffit de ce résumé pour que le système soit jugé par quiconque a la moindre connaissance de ce que c’est que le travail des ateliers, ou sait comment est fait le cœur humain, et quels sont les mobiles habituels des hommes dans les affaires.

Avec cette organisation du travail, la production se ralentirait sensiblement. Il y aurait beaucoup moins de produits à répartir, beaucoup plus de misère par conséquent. On en devine bien la cause ; personne ne serait directement intéressé à se donner de la peine, ou n’y serait poussé par la rivalité du voisin. M. Louis Blanc croit que les ateliers sociaux ainsi constitués seraient doués d’une force d’expansion immense, et qu’aucun des établissemens de l’industrie actuelle ne pourrait soutenir une longue lutte contre les siens. J’en appelle à quiconque a dirigé un atelier. Je me déclare d’avance converti à la doctrine de M. Louis Blanc et je m’engage à devenir l’apôtre de son organisation du travail, si, parmi tous les habitans de Paris auxquels l’industrie est familière, il en trouve trois qui soient d’avis qu’une fabrique ainsi organisée pourrait soutenir la concurrence des autres et aller trois mois sans déposer son bilan.