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des instrumens de travail à ceux qui voudraient faire partie de l’association, de telle sorte qu’elle pût s’étendre indéfiniment.

« Dans chacune de ces associations, formées pour les industries qui peuvent s’exercer en grand, pourraient être admis ceux qui appartiennent à des professions que leur nature même force à s’éparpiller et à se localiser. Si bien que chaque atelier social pourrait se composer de professions diverses, groupées autour d’une grande industrie, parties différentes d’un même tout, obéissant aux mêmes lois, et participant aux mêmes avantages.

« Chaque membre de l’atelier social aurait droit de disposer de son salaire à sa convenance ; mais l’évidente économie et l’incontestable excellence de la vie en commun ne tarderait pas à faire naître de l’association des travaux la volontaire association des besoins et des plaisirs.

« Les capitalistes seraient appelés dans l’association et toucheraient l’intérêt du capital par eux versé, lequel intérêt leur serait garanti sur le budget ; mais ils ne participeraient aux bénéfices qu’en qualité de travailleurs.

« L’atelier social une fois monté d’après ces principes, on comprend de reste ce qui en résulterait.

« Dans toute industrie capitale, celle des machines, par exemple, ou celle de la soie, ou celle du coton, ou celle de l’imprimerie, il y aurait un atelier social faisant concurrence à l’industrie privée. La lutte serait-elle bien longue ? Non, parce que l’atelier social aurait sur tout atelier individuel l’avantage qui résulte des économies de la vie en commun, et d’un mode d’organisation où tous les travailleurs, sans exception, sont intéressés à produire vite et bien. La lutte serait-elle subversive ? Non, parce que le gouvernement serait toujours à même d’en amortir les effets, en empêchant de descendre à un niveau trop bas les produits sortis de ses ateliers. Aujourd’hui, lorsqu’un individu extrêmement riche entre en lice avec d’autres qui le sont moins, cette lutte inégale ne peut être que désastreuse, attendu qu’un particulier ne cherche que son intérêt personnel ; s’il peut vendre deux fois moins cher que ses concurrens pour les ruiner et rester maître du champ de bataille, il le fait. Mais lorsqu’à la place de ce particulier se trouve le pouvoir lui-même, la question change de face.

« Le pouvoir, celui que nous voulons, aura-t-il quelque intérêt à bouleverser l’industrie, à ébranler toutes les existences ? Ne sera-t-il point, par sa nature et sa position, le protecteur né, même de ceux à qui il fera, dans le but de transformer la société, une sainte concurrence ? Donc, entre la guerre industrielle qu’un gros capitaliste déclare aujourd’hui à un petit capitaliste et celle que le pouvoir déclarerait, dans notre système, à l’individu, il n’y a pas de comparaison possible. La première consacre nécessairement la fraude, la violence et tous les malheurs que l’iniquité porte dans ses flancs ; la seconde serait conduite sans brutalité, sans secousses, et de manière seulement à atteindre son but, l’absorption successive et pacifique des ateliers individuels par les ateliers sociaux. Ainsi, au lieu d’être, comme l’est aujourd’hui tout gros capitaliste, le maître et le tyran du marché, le gouvernement en serait le régulateur. Il se servirait de l’arme de la concurrence, non pas pour renverser violemment l’industrie particulière, ce qu’il serait intéressé par-dessus tout à éviter, mais pour l’amener insensiblement à composition. Bientôt, en effet, dans toute sphère d’industrie où un atelier social aurait été établi, on verrait accourir vers cet atelier, à cause des