Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/1073

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exporte pour plus de 100 millions de tissus de laine, pareille valeur en tissus de coton, des soieries, des articles de Paris pour des sommes énormes. Comme la concurrence étrangère nous presse vivement sur les marchés extérieurs, c’est sur de très faibles différences de prix, 2, 3 ou 4 pour 100, qu’est motivée la préférence de l’acheteur étranger en notre faveur. Si les salaires s’accroissent autrement que par le cours naturel des choses et le libre mouvement des transactions, voilà nos frais de production augmentés ; nous perdons l’avantage que nous avions sur les marchés extérieurs, nos débouchés nous sont ravis. Cette nombreuse population de Paris, de Lyon, de Mulhouse, de vingt autres villes qui fabriquent les articles d’exportation, reste sans travail. Vous croyez avoir avancé d’un pas ; vous avez reculé de dix.

Est-il possible de changer dès à présent la répartition qui se faisait hier des fruits du travail en donnant une plus forte part au travailleur, une moindre au capital ? Beaucoup de personnes résolvent la question par l’affirmative ; n’est-ce pas à tort ? Eh ! oui, assurément, c’est une de ces espérances chimériques dont se bercent, pour leur malheur, des myriades d’ouvriers. Dans une société libre, et je suppose qu’on veut que la société moderne garde ce caractère si péniblement gagné, sous le régime de la liberté du travail, de cette liberté après laquelle les travailleurs ont soupiré pendant des siècles, la part du capital se détermine d’après cette même loi immuable de l’offre et de la demande que j’ai déjà citée. Quand il y a peu de capitaux vis-à-vis de beaucoup de travailleurs, le profit du capital est grand. Lorsque les capitaux se multiplient, la portion qui leur revient des fruits du travail est moindre. L’histoire nous l’atteste : ce qu’on nomme l’intérêt des capitaux va en baissant à mesure que la civilisation développe la richesse. Et ainsi nous retombons sur la conclusion à laquelle nous étions arrivés par un autre chemin : si vous voulez que le capital reçoive une moindre part des produits, faites que la proportion du capital au nombre des travailleurs soit plus grande. Il n’y a pas d’autre issue.

Allons plus loin et mesurons ce qu’on pourrait attendre non-seulement d’une réduction, mais de la suppression totale de la part qui est faite au capital. C’est exagérer, selon toute apparence, la production totale de la France en produits matériels que de la mettre à 10 milliards. Supposons que demain, par un décret révolutionnaire, on installe le système communiste en France, que tout le capital soit confisqué au profit de l’état, et que chacun des 35 millions de Français ait à prendre son lot égal sur les 10 milliards : ce sera par tête 78 centimes à dépenser par jour. Chaque ouvrier non marié sera mis à 78 centimes ; je n’en sache pas beaucoup à Paris qui se contentassent de ce traitement-là, même au nom de la république. Une famille composée de six