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maître absolu de cette noble France. Voilà comment nous sommes changés en république. C’est un fait accepté maintenant de tout le monde : pas la moindre protestation d’une fraction quelconque de cette chambre, si prodigue de paroles, qui, dans son égoïsme, se flattait hier d’être la nation, n’est venue traverser la proclamation nouvelle de la république française. La république existe, elle n’est pas contestée. C’est donc une nécessité et un devoir pour chacun de se conformer à la situation qui nous est faite, quelque imprévue qu’elle soit, et d’y adhérer franchement pour le plus grand bien de la patrie.

Rendons une double justice à ces hommes qui se sont saisis de la France, et dont l’audace, au milieu de l’universelle lâcheté, a suffi pour entraîner cet astre majestueux, comme un satellite obéissant, dans l’orbite de leurs opinions. Dès le premier instant, ils se sont mis à faire tout ce qu’ils pouvaient pour que le nouvel ordre de choses fût un ordre, et ils ont assigné à la république qu’ils proclamaient un but digne de la sympathie des cœurs généreux, l’amélioration du sort du plus grand nombre des hommes. Le problème qu’ils ont posé, dont ils ont commandé la solution aux efforts de tous, c’est de faire en sorte que les trente-cinq millions de Français participent aux bienfaits moraux et matériels de la civilisation, que la France enfin forme une famille. Devant un pareil programme, les dissentimens doivent se taire. Chacun est tenu de trouver en soi la force de comprimer l’émotion que lui a causée ce violent ébranlement, la douleur qu’inspire le spectacle d’immenses infortunes, afin de donner le concours loyal et énergique de toutes ses facultés à cette œuvre si difficile. Il faut que chacun apporte une pierre pour l’édifice à la construction duquel nous aurions dû spontanément consacrer, il y a long-temps déjà, les ressources de tout genre que nous avons gaspillées dans toutes sortes d’entreprises.

J’ai le droit d’en prendre à témoin Dieu et les hommes, l’amélioration du sort des travailleurs[1] fut toujours la pensée qui m’anima dans mes modestes, nais continuels travaux. Combien de fois ma persévérance à recommander ce sujet comme la grande affaire du siècle ne m’a-t-elle pas fait traiter d’utopiste et de rêveur, et par les ministres qui étaient au pouvoir, et par les hommes qui le leur disputaient ! Les lecteurs de cette Revue, mieux que personne, s’ils ont remarqué ce que j’y ai publié, savent quel fut toujours mon dévouement à cette sainte cause. L’amélioration du sort des travailleurs est imposée à tous aujourd’hui d’une façon si impérieuse et si puissante, que, mal revenu encore de la stupeur où les événemens m’avaient plongé, je me détermine

  1. Je dis travailleurs, au lieu d’ouvriers, pour parler la langue du jour. A mes yeux, cependant, un chef d’industrie est un travailleur aussi bien que l’homme qui se livre au travail manuel. Le savant et l’artiste sont aussi des travailleurs. Le magistrat dans son cabinet ou sur son siège est un travailleur aussi bien que l’homme de peine.