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Cette influence se manifeste dès le commencement du XVIe siècle. François Clouet, dit Janet, le peintre de la cour des Valois, sans adopter entièrement la manière des Van Eyck, comme le prétend M. Michiels, s’appropria quelques-uns de leurs procédés. Moins souple et moins varié que les peintres brugeois, précis et naïf comme eux, il sut, en restant naturel, garder une distinction et une dignité qui leur sont étrangères. Cependant, à en croire M. Michiels, « les personnages de Janet seraient aussi inflexibles, aussi empesés que les héros du Théâtre-Français ; il semble voir des joujoux de Nuremberg, de petits hommes taillés dans le hêtre et dépourvus d’articulations[1]. » Il est difficile d’être plus injuste et moins vrai, et cette assertion de M. Michiels nous montre, une fois de plus, comment un esprit prévenu et exclusif fait tourner contre l’homme de talent qu’il veut déprécier jusqu’à d’incontestables qualités. Janet est, sans nul doute, un peintre d’un tout autre mérite que les continuateurs flamands de Van Eyck. L’air de noblesse qu’il donne à ses personnages constitue surtout son originalité. Ces jugemens de M. Michiels n’ont, du reste, rien qui nous surprenne. Il a des préférences tout aussi singulières. Ne regrette-t-il pas quelque part que François Ier, à qui le bruit de la réputation de Michel Coxie était parvenu, n’ait pas chargé ce peintre de décorer son palais de Fontainebleau, à la place de Primatice, « ce déplorable barbouilleur qui gouvernait alors les destinées de la peinture en France ? » Primatice, dont M. Michiels parle avec tant de dédain et à qui il n’accorde qu’un certain talent de décorateur, est supérieur, à notre avis, à tous ces peintres flamands qui, les premiers, importèrent dans leur pays la manière italienne. Bernard Van Orley, Michel Coxie, Jean Mabuse, avaient, il est vrai, fréquenté l’atelier de Raphaël ; mais, dans l’étude qu’ils firent de la manière du maître, ils s’arrêtèrent à la forme extérieure. La partie intellectuelle et profonde, le sentiment et la grace leur furent toujours inconnus. Primatice, au contraire, élève comme eux de Raphaël, ami de Jules Romain et de plus Italien, conservait, même au milieu de ses plus grands écarts, quelque chose de délicat et d’élégant qu’il devait tout autant au génie national qu’à la première direction donnée à son talent. Il n’est pas surprenant, d’ailleurs, qu’à la suite des guerres d’Italie, ce goût italien l’ait emporté à la cour de François Ier et de ses successeurs sur le goût flamand italianisé. L’influence était directe et non transmise de seconde main. Au commencement du XVIIe siècle, lorsque le talent de Rubens était dans toute sa vigueur et que son nom remplissait l’Europe, la reine Marie de Médicis, sacrifiant ses préjugés d’Italienne, le choisit pour peindre la fameuse galerie du Luxembourg. Rubens exécuta, en moins de deux années, ce travail qui eût rempli la vie d’un

  1. Histoire de la Peinture flamande et hollandaise, t, III, p. 243.