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quant au coloris seulement, et c’est fort heureux. En France, un écrivain ingénieux, M. Hippolyte Fortoul, est remonté plus haut encore. A l’en croire, ses œuvres si diverses et si profanes rappelleraient sous plus d’un rapport celles de ses devanciers les plus lointains et des Byzantins eux-mêmes. Quelques efforts que nous ayons faits, nous n’avons pu découvrir rien de semblable. Cette sorte d’imitation robuste de la nature, qui donnerait aux ouvrages du grand peintre d’Anvers cette lointaine analogie avec les œuvres byzantines, est, à notre avis, ce qui au contraire creuse le plus profond abîme entre sa manière et celle des peintres hiératiques du Bas-Empire. Rubens n’est pas même Allemand, il est Flamand.

Rubens, en mourant dans toute sa gloire, légua la partie spirituelle de son art et de son génie à Van Dyck, et la partie grossière et matérielle à Jordaens. Jordaens serait peut-être un grand peintre, s’il n’eût pas connu Rubens. Il a dérobé la palette du maître ; il lui a emprunté sa fougue, son adresse. Pendant les soixante-dix ans qu’il a tenu le pinceau, il a peut-être couvert trois fois autant de toile que Rubens ; mais des milliers de tableaux qu’il a peints, en est-il un seul qui s’élève au-dessus du médiocre ? Jordaens nous montre où conduit l’abus de l’imitation, quelque féconde et brillante qu’elle soit. L’absence de toute originalité le classe parmi les peintres de troisième ordre. Élève de Rubens comme Jordaens, Van Dyck a su échapper aux décevantes facilités de l’imitation. Lui qui, dans la fameuse Descente de croix, avait repeint la joue et le menton de la Vierge de manière à tromper Rubens lui-même, il a voulu et il a pu être autre chose qu’un copiste ; il a fait plus, il a su se créer une manière toute personnelle. Coloriste moins heurté et plus harmonieux que Rubens, il a donné à ses personnages cette dignité intelligente, cette grace chevaleresque que les natures sobres et contenues sont plus propres que d’autres à exprimer. Van Dyck est à la fois le plus naturel et le plus distingué des peintres flamands. Ce serait le dernier grand peintre que les Flandres auraient produit, si Rembrandt n’eût pas existé.

Les peintres flamands qui, après Rubens, ou du temps même de ce grand artiste, poussèrent le plus vivement à l’imitation de l’art italien, se sont attachés de préférence à reproduire la manière des maîtres florentins de l’époque qui précéda la décadence. Les peintres de la période antérieure, Otto Vénius et Heemskerck à leur tête, avaient au contraire étudié l’école romaine au moment de son éclat. On a appelé Heemskerck le Raphaël hollandais, et cependant sa manière n’est qu’un calque grossier, souvent même grotesque, de celle de Michel-Ange, dont il avait fréquenté l’atelier. Les peintres du XVIIe siècle et de la fin du XVIe persistèrent dans cette même voie. Le Bronzino et Vasari eurent leurs copistes ; on imita des imitateurs.