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n’aurait pu la déterminer à encourir votre colère par un tel refus ; mais elle s’y résigne en vue du but élevé qu’elle se propose. Considérez, monsieur, l’incertitude des choses de ce monde, les vicissitudes de la fortune, le néant de tous les biens d’ici-bas, et vous demeurerez convaincu que mademoiselle votre fille a choisi la meilleure part. Comme sa supérieure et sa mère spirituelle, je la soutiendrai dans cette voie, vous conjurant, monsieur, de ne point vous y opposer, et vous priant de me croire votre humble servante et sœur en J. -C.

« SOEUR SAINT-ANASTASE. »

Lorsque M. de Champguérin se présenta à la porte du parloir, la tourière s’avança les yeux baissés, fit une génuflexion et lui remit la lettre de la prieure. A peine y eut-il jeté les yeux, qu’il entra dans une grande colère et se retira en fulminant des menaces. L’événement n’eut pas d’autres suites.

Le baron de Barjavel revint le soir même, et dès-lors il retourna tous les jours au parloir des sacramentines. Ordinairement la mère Saint-Anastase venait le recevoir, puis elle faisait appeler quelqu’une de ses religieuses, ainsi que Mlle de Champguérin, pour leur donner le plaisir de voir avec elle les dessins et les collections d’insectes qu’Antonin lui apportait successivement. Parfois on faisait collation à la grille, et ces innocentes récréations se prolongeaient jusqu’au soir. La mère Saint–Anastase jugea bientôt qu’elle pouvait sans danger admettre ainsi son cousin au milieu de son mystique troupeau ; c’était toujours le même cœur affectueux et paisible, le même esprit curieux et naïf ; la science avait préservé son adepte des passions qui troublent et dévorent les plus belles années de la vie humaine. Cette calme intimité charmait la mère Saint-Anastase et rassérénait en quelque sorte son âme ; la présence Antonin lui donnait un bonheur calme qui se reflétait dans toute son existence. Parfois il lui semblait qu’elle redevenait la jeune fille d’autrefois, et, entraînée par cette réminiscence, elle appelait encore le baron son petit cousin et lui disait en riant : Te rappelles-tu, Antonin, nos veillées dans la bibliothèque et toute la peine que tu te donnais pour cacher tes chenilles?... Comme je t’aidais de bon cœur à faire l’éducation de toutes ces petites bêtes!... Que nous étions enfans, Mon Dieu ! que nous étions heureux alors!...

— Maintenant aussi, je suis heureux, répondait Antonin ; je suis heureux depuis que je suis près de toi, ma bonne Clémentine.

Quelques semaines s’écoulèrent ainsi. Un jour, bien avant l’heure où Antonin avait coutume de venir, la tourière annonça à la mère Saint-Anastase que M. de Champguérin était au parloir et demandait instamment à l’entretenir un moment. Elle s’y rendit aussitôt et demeura toute saisie à l’aspect du vieux gentilhomme. Il était amaigri, et