bien fatigué, avec les piqueurs et la meute qui aboyait dans la cour. J’accourais au-devant de lui en jetant des cris de joie et de frayeur ; alors il m’enlevait dans ses bras, afin que je n’eusse plus peur de tout ce vacarme et que je fusse hors de l’atteinte des lévriers qui sautaient autour de nous pour me lécher les mains. Puis il m’emportait dans la salle et me gardait long-temps sur ses genoux.
— Et Mme de Champguérin? elle était là? demanda la mère Saint–Anastase.
— Toujours elle filait, assise près de la fenêtre, sans parler et sans lever les yeux, répondit Alice ; j’en avais une grande crainte et je n’osais entrer dans la salle quand elle y était seule, tant je lui trouvais un visage sévère ; à présent il me semble que je me trompais, et qu’elle avait plutôt la physionomie d’une personne mélancolique et malade.
— Elle n’était pas ainsi quand je l’ai connue, murmura en soupirant la mère Saint-Anastase.
— Ah! je n’avais pas lu toute la lettre, s’écria Alice en s’apercevant que le post-scriptum continuait à la seconde page ; écoutez, ma chère mère, c’est à vous que ceci s’adresse. Mon père ose espérer, dit-il ; que vous lui ferez la faveur de descendre au parloir avec moi : vous y consentirez, n’est-ce pas?
La mère Saint-Anastase hésita un moment, et répondit ensuite d’une voix faible : — Oui, ma fille.
Le dernier coup de matines venait de sonner ; on entendait les religieuses qui sortaient de leurs cellules en répétant à haute voix la formule par laquelle commençaient tous les actes, et qui était écrite en mille endroits sur les murs du couvent : Laudetur sanctum sacramentum !
— Descendons au chœur, ma chère fille, dit la prieure en abaissant son voile devant sa figure émue et pâle.
— Je vous suis, ma chère mère, répondit Mme de Champguérin en se rangeant pour lui donner le pas à la porte de la cellule.
— La mère saint-Anatase assista l’esprit distrait et le cœur troublé aux offices du matin. Cette entrevue avec M. de Champguérin la jetait d’avance dans des émotions qu’elle essayait vainement de dominer. Effrayée de ce qui se passait en elle-même, saisie de crainte et de remords, elle voyait approcher avec angoisse l’heure où elle serait appelée à la grille, et redoutait presque la présence de cet homme dont le souvenir n’avait jamais cessé de remplir son ame. Pourtant, lorsqu’une sœur tourière vint lui annoncer discrètement qu’on demandait Mlle de Champguérin au parloir, elle se leva sans hésiter et dit en se tournant vers Alice : Venez, ma chère fille.
Le parloir des sacramentines était une grande salle divisée dans sa largeur par une grille dont les barreaux peu serrés n’arrêtaient pas les