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Le mauvais succès de l’expédition dirigée par le comte de Trastamare n’avait pu lui faire perdre l’espoir d’exciter une révolution en Castille. C’était de ce côté surtout qu’il croyait don Pèdre vulnérable, et, après avoir reconnu l’insuffisance d’un de ses agens, il se hâtait d’en produire un autre. Maintenant, c’était à son frère, don Fernand, qu’il voulait confier une expédition nouvelle, se flattant que, plus heureux que don Henri, il rallierait les mécontens et réussirait à rallumer le feu de la guerre civile que tant de sang versé n’avait pu éteindre. Il paraît que l’intention de Pierre IV était de proclamer la déchéance de don Pèdre et de reconnaître don Fernand comme son successeur, dès qu’il serait parvenu à rallier autour de lui un certain nombre d’insurgés. Pour concevoir un dessein si hardi, il fallait qu’il jugeât alors de la fidélité des Castillans avec les mêmes yeux que don Pèdre. Probablement il se faisait illusion, et la mesure n’était pas encore comblée. Entouré de bannis toujours disposés à croire sur l’état de leur pays les rumeurs qui flattaient leurs passions, il s’exagérait sans doute l’aversion de la Castille pour son roi ; mais les inquiétudes mêmes de don Pèdre, ses soupçons incessans trahissaient sa faiblesse et montraient de quel côté les coups devaient se diriger. Le roi d’Aragon résolut de donner à don Fernand des subsides considérables et de le mettre à la tête d’un corps de troupes d’environ 3,000 hommes d’armes. Ce n’était plus une chevauchée qu’il s’agissait de conduire, c’était la conquête d’un royaume qu’on allait tenter, et déjà Pierre IV s’était assuré une large part dans les dépouilles de son ennemi. L’infant s’engagea par un acte solennel à céder à son frère jure regio le royaume de Murcie, la province de Soria et plusieurs villes considérables. En retour, le roi lui promit de payer la solde de ses troupes pour trois mois, à dater du 1er février 1361 ; enfin, dans le cas où l’infant aurait une fille, on stipula qu’elle épouserait le duc de Girone, fils aîné de Pierre IV et son héritier présomptif[1]. On le voit, rien n’était oublié dans les contrats de ce temps. En attendant cette union projetée de si loin, on poussait avec beaucoup d’activité, quoiqu’en secret, les préparatifs de l’expédition qui devait conquérir la Castille. On conçoit combien dans un tel moment l’alliance des Maures de Grenade était importante, et quel devait être l’empressement de Pierre IV à leur faire prendre les armes.

Jusqu’alors don Pèdre, absorbé par les troubles intérieurs de son royaume et par les soins de la guerre contre l’Aragon, n’avait prêté qu’une médiocre attention aux affaires de Grenade. Au commencement de l’année 1361, les négociations entamées entre Pierre IV et Abou-Saïd lui furent révélées par un roi maure des Beni-Merin, Abou-Salem[2],

  1. Arch. gen. de Ar. Convention entre Pierre IV et l’infant d’Aragon. Barcelone, 31 janvier 1364 Registre 1393 Secretorum, p. 77 et suiv.
  2. Marmol, Descrip. de la Afr., le nomme Abu Henun, roi de Fez, lib. II, p. 214.