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sur ces familles tous les signes de l’anathème. Elles se purifient dans les larmes et dans leur propre sang. Cependant la mission de ces races proscrites est triste et grande. La Providence les tient en réserve sous le sceau de la malédiction, afin de compléter un jour, par leur entremise, les caractères des autres races.

M. Francisque Michel a écarté avec une légèreté regrettable des observations qui ont leur importance. Pour écrire convenablement sur les cagots, il aurait fallu un historien doublé d’un physiologiste[1]. L’histoire seule est en effet impuissante à expliquer l’isolement des cagots et les bruits plus ou moins fondés qui circulent dans le midi de la France sur le compte de ces familles excentriques. Traiter ces bruits de préjugés absurdes, rapporter tout à l’ignorance des populations, c’est rendre facile la tâche de l’écrivain, mais ce n’est rien approfondir. M. Francisque Michel a fait trop bon marché de certains caractères physiques auxquels le moyen-âge, par une sorte d’instinct, a rattaché sa haine contre les cagots. Les races se devinent entre elles aux signes extérieurs, et c’est sur ces signes qu’elles appuient leurs sympathies ou leurs inimitiés. Un reproche qui revient sans cesse dans les chansons patoises et dans les autres monumens relatifs aux cagots, c’est la mauvaise conformation de l’oreille, dépourvue chez eux, dit--on, du lobe inférieur. Quoique ce caractère typique ne s’étende pas à toute la gent cagote, on le trouve affirmé par des médecins dont l’autorité en cette matière est considérable. J’en pourrais dire autant des principaux traits par lesquels tous les auteurs, depuis l’historien espagnol Pierre de Marca, esquissent la physionomie générale des cagots. Le préjugé populaire a bien pu exagérer, je n’en doute pas, certaines inégalités de race, et leur donner par malice une signification inadmissible ; mais, n’en déplaise à M. Francisque Michel, le préjugé se montre ici d’accord avec les lois de la nature. Il en est de même des vices attribués aux cagots, tels que la forfanterie, la lubricité, la violence : ce sont des vices communs à toutes les races jeunes. Agitées de convoitises brutales, elles manifestent cet aiguillon de la chair, cette ardeur sensuelle que le christianisme a fini par mater chez les barbares convertis, mais qui persiste encore chez les cagots, retenus par des circonstances physiques dans l’imperfection du premier âge.

Les nations commencent par le fractionnement et finissent par l’unité. La force attractive, long-temps enchaînée vis-à-vis de certains groupes

  1. L’auteur transcrit à plusieurs reprises l’accusation portée contre la mauvaise odeur des cagots, en traitant ce bruit de fable ridicule. Ce détail peu agréable n’est pourtant pas sans valeur aux yeux de la science. Il constitue un caractère propre à toutes les races barbares, caractère qui s’évanouit ensuite par le progrès et le croisement. Ce phénomène est si commun dans tout l’Orient, que les marchands d’esclaves prétendent reconnaître par l’odorat seul la qualité de la marchandise sur laquelle ils trafiquent.