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S’il en faut croire Ayala, cet horrible échange aurait été accepté et par le roi et par le père lui-même[1].

Les premiers ordres de don Pèdre avaient été pour faire occuper l’Alcazar par ses soldats et pour s’assurer de la personne de la reine Blanche. Il ne voulut pas la voir, et, comme s’il eût craint qu’un hasard ne l’amenât en sa présence, il se logea dans une maison de la ville. Peu de jours après, Hinestrosa conduisit la malheureuse Blanche au château de Sigüenza, dont il était le seigneur, depuis que l’évêque Barroso avait vu tous ses domaines confisqués et partagés entre les favoris du roi. Tandis que la reine changeait de prison, don Pèdre écrivait au saint-père pour l’informer du succès de ses armes ; il lui mandait qu’il s’était rapproché de son épouse et qu’il la traitait avec honneur. Cet impudent mensonge paraît avoir trompé le pape, qui répondit par une lettre affectueuse en l’exhortant à continuer dans cette bonne voie[2]. Pour donner plus d’apparence à la fourbe, le roi mettait alors quelque soin à ne pas se montrer en public avec Marie de Padilla. Elle ne le suivait pas dans ses expéditions, vivait retirée, affectant une grande réserve, et, satisfaite de la réalité du pouvoir, elle en cachait avec soin les dehors. Ainsi l’expérience précoce que donnent les révolutions avait appris l’hypocrisie à ces jeunes gens de vingt ans.

Battus à Tolède, don Henri et son frère ne se crurent pas en sûreté à Talavera ; ils allèrent se renfermer dans les murs de Toro, appelés d’ailleurs par la reine Marie, qui jugeait bien que le roi ne tarderait pas à tourner ses armes de ce côté. « Je vous ai reçus dans ma ville il y a quelques mois, leur écrivait la reine. Pour vous je me suis perdue auprès de mon fils. Il est juste que maintenant vous veniez me secourir. » En effet, don Pèdre, laissant Tolède épouvantée de ses terribles vengeances, reprenait lentement la route de Toro avec des forces considérables. Chemin faisant, il s’arrêta devant Cuenca, ville de quelque importance, occupée par Alvar d’Albornoz, gouverneur de don Sanche, fils naturel du feu roi don Alphonse et de doña Léonor. C’était un enfant de quatorze ans. Le roi voulait qu’on le remît entre ses mains ; mais après un siège de quinze jours, pressé par le temps, il se contenta d’exiger d’Albornoz le serment de ne prendre aucune part aux hostilités. Sur cette promesse, il continua sa marche et reparut devant Toro vers le milieu de l’été. Les deux bâtards y avaient concentré la plus grande partie de leurs forces. Un assez grand nombre de riches-hommes et de chevaliers s’y étaient donné rendez-vous de toutes les parties du royaume qui tenaient encore pour la ligue. Parmi les principaux on remarquait Rui Gouzalez de Castaiieda, beau-frère de Garci

  1. Ayala, p.189.
  2. Bref d’Innocent VI du 8 juillet 1355. — Ayala, p. 187.