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campés à peu de distance de Tolède ; le premier à Torrijos, l’autre à Talavera. Chacun, épiant son adversaire, espérait surprendre la place au moyen des intelligences qu’il y entretenait.

Tolède est entourée de trois côtés par le Tage, qui, fortement encaissé au fond d’un ravin très profond, décrit une espèce de fer à cheval autour de ses remparts. Deux ponts jetés sur le fleuve donnent accès dans la ville ; à l’ouest le pont de Saint-Martin, à l’est celui d’Alcantara, l’un et l’autre bâtis en pierre et surmontés de trois hautes tours sous lesquelles il faut passer successivement pour arriver aux portes principales de l’enceinte murée. Le comte et le maître de Saint-Jacques, couverts par le Tage et dérobant leur marche au roi à la faveur des ténèbres, se présentèrent à l’aube devant le pont de Saint-Martin. Ils venaient, disaient-ils, pour défendre la ville menacée par le roi. Il fallut parlementer avec les bourgeois qui gardaient les tours. Après quelque hésitation, le conseil de la commune, fidèle à sa politique, envoya des rafraîchissemens aux deux bâtards et à leur troupe, mais en refusant avec politesse de les admettre dans la ville. Ils eurent beau protester que leur intention était de protéger la reine Blanche contre les fureurs de son mari, le conseil persistait à leur interdire l’entrée des remparts. – « La reine n’a rien à craindre au milieu de nous, disaient les magistrats de Tolède, nos murailles sont hautes et nous saurons bien les garder seuls. D’ailleurs, ajoutaient-ils, nous avons envoyé des députés au roi, et nous ne traiterons pas avec lui sans stipuler pour vous des conditions honorables. » Ces pourparlers durèrent assez long-temps à la tête du pont, et cependant plusieurs chevaliers tolédans de la suite du Comte, s’abouchant avec des bourgeois de leur parti, complotaient de surprendre la ville d’un autre côté. Le jour baissant, don Henri fit mine de se retirer ; mais, tournant les remparts par un long circuit et dans un profond silence, il alla s’embusquer à la Huerta del Rey, devant le pont d’Alcantara, dont ses affidés avaient eu l’art de se faire confier la garde. Le lendemain, 7 mai, à l’heure de la sieste, lorsque la chaleur retenait presque tous les habitans dans leurs maisons, les hommes d’armes du Comte se présentèrent à l’entrée du pont d’Alcantara dont les tours leur furent aussitôt livrées. La porte de la ville était ouverte ou si négligemment gardée, qu’elle fut surprise en même temps. A l’exception des bourgeois dans le complot, nul ne connut ce hardi coup de main que lorsque déjà les soldats des deux bâtards se répandaient dans les rues, enseignes déployées et poussant leur cri de guerre. Aussitôt s’élève un tumulte épouvantable. Quelques bourgeois se joignent aux assaillans, d’autres se jettent dans l’Alcazar ou se barricadent dans la Grande-Juiverie, séparée, suivant l’usage, du reste de la ville par une haute muraille. Les partisans du roi lui expédient en toute hâte des courriers à Torrijos pour le presser de voler au secours de sa capitale menacée des plus grands malheurs.