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III.

Les peuples semblent soumis, comme les individus, à des crises que la prudence humaine peut prévoir, mais qu’elle ne saurait conjurer, et l’histoire offre une reproduction si fréquente des mêmes événemens, des mêmes révolutions, qu’on est tenté d’y voir comme le résultat de certaines lois fatales. Peu d’années s’étaient écoulées depuis que le feu de la révolte s’était étendu avec une effrayante furie sur tout le royaume d’Aragon. Les riches-hommes s’étaient coalisés avec les communes contre leur jeune souverain. Pierre IV avait été, comme don Pèdre, prisonnier de ses sujets, obligé comme lui de racheter sa liberté à l’avarice de ses nobles. Échappé de sa prison, il avait en un instant trouvé de nouvelles forces ; le triomphe éphémère des rebelles fut suivi presque aussitôt de leur abaissement, et le pouvoir royal s’accrut par cette terrible épreuve. La Castille offrait maintenant un spectacle semblable. Les mêmes causes allaient produire les mêmes effets, et les deux drames, qui, dans leurs péripéties, présentaient tant de conformités, devaient avoir le même dénoûment.

Il y avait trois mois à peine que don Pèdre avait quitté Toro en fugitif, accompagné d’un seul serviteur, et déjà il se voyait à la tête d’une armée nombreuse et fidèle. Après avoir congédié les députés réunis à Burgos, il prit le commandement de ses troupes et marcha droit aux rebelles réduits maintenant à la faction des trois bâtards. A Medina del Campo, il préluda à cette longue série de vengeances qu’il avait sans doute méditée du fond de sa prison. Pendant la semaine des Rameaux, dans ces jours que les chrétiens consacrent au repentir et à la pénitence, deux riches-hommes qui avaient fait partie de la troupe des ligueurs aux conférences de Tejadillo, Pero Ruiz de Villegas et Sancho de Rojas furent arrêtés dans son palais à l’heure de la sieste et massacrés aussitôt sans forme de procès. Quelques autres qui avaient pris parti avec les rebelles, mais sans jouer un rôle important, furent jetés en prison et dépouillés de leurs biens. Lançant cette déclaration de guerre à sa noblesse factieuse, le roi s’avança contre la ville de Toro et en fit attaquer les barrières. Là, il put s’apercevoir que le cruel exemple qu’il venait de faire ne suffisait pas à détruire des habitudes de désobéissance invétérées. Un des chevaliers de son hôtel, Fernand Ruiz Giron, ayant été tué dans la première escarmouche, Alphonso Tellez, frère du mort, réclama comme un héritage qui lui était dû la charge de Fernand Ruiz. Mais le roi en avait déjà disposé. Furieux de son refus, Tellez Giron déserta sur-le-champ et se jeta avec ses gens dans la ville assiégée[1].

  1. Ayala, p. 73.