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IX.

EVASION DE DON PEDRE ; IL REPREND L’AUTORITE. — 1354-1356.


I.

La concorde qui avait subsisté entre les ligueurs tant qu’ils avaient eu un ennemi à combattre ne pouvait durer long-temps lorsqu’il ne s’agissait plus que de partager les fruits de la victoire. Quelque soin qu’on mît à éloigner du roi les hommes qui lui conservaient un attachement sincère, il avait bientôt trouvé le moyen de correspondre en secret avec plusieurs de ses amis. Parmi les confédérés eux-mêmes, il y en avait plus d’un qui, touché de pitié, ou se croyant mal récompensé de sa rébellion, songeait à se prémunir contre un retour de la fortune et à se faire un mérite de son repentir. Quelques-uns des chefs, chagrins de voir leur autorité expirer avec la guerre civile, s’apercevaient un peu tard qu’il était plus aisé et plus sûr d’obtenir la seconde place sous un roi que la première parmi leurs égaux. D’un autre côté, les communes, entraînées un moment dans la révolte générale, reconnaissaient qu’elles n’avaient rien gagné à renverser des favoris odieux. Le pouvoir n’avait fait que passer en des mains plus avides. En se déclarant contre le roi, les communes avaient augmenté la force des hommes qu’elles regardaient avec raison comme les ennemis les plus dangereux de leurs antiques franchises. Elles allaient se trouver sans protecteurs, exposées à l’insatiable ambition de la noblesse féodale. Quant à la reine Blanche, dont le nom quelques jours auparavant servait de cri de guerre, elle était oubliée maintenant par tous ces preux chevaliers qui prétendaient ne s’être armés que pour elle. Le peuple aurait voulu la voir paraître, la voir intercéder pour son mari, regagner son amour et sa confiance. Mais Blanche demeurait à Tolède. C’était un enfant qui ne répétait que des paroles apprises, et personne ne se souciait de lui faire jouer un rôle aujourd’hui. Seul au milieu de cette foule ambitieuse et cupide, le roi se montrait calme et fier. Le malheur lui avait donné de la dignité. On commençait à le plaindre tout haut, à regretter sa justice, à excuser ses erreurs passées. Ainsi, à peine la cause royale semblait-elle irrévocablement perdue, qu’elle reprenait son ascendant dans l’opinion publique. Tous les partis tournaient leurs regards vers don Pèdre, et, bien que captif, il exerçait un pouvoir qu’il n’avait jamais eu lorsqu’il commandait encore à une armée fidèle.

La ligue s’était divisée en deux factions : dans l’une les infans d’Aragon et leur mère, dans l’autre les trois bâtards et leur beau-frère don