Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/986

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fidèles à sa mauvaise fortune. Hinestrosa fut remis à l’infant don Fernand, le Juif à don Tello. En même temps on signifiait à don Pèdre qu’on avait pourvu à tous les offices de sa maison. Don Fernand d’Aragon était grand-chancelier, et sur-le-champ on contraignit Sanchez de lui livrer les sceaux du royaume ; l’infant don Juan reprit sa charge de grand porte-enseigne de Castille, et se fit pareillement remettre les bannières royales. On avait rendu le titre de grand majordome à don Fernand de Castro, qui depuis quelque temps ne parlait plus des injures de sa sœur doña Juana ; enfin don Fadrique eut la charge de chambellan, ou plutôt celle de geôlier du roi. Jusqu’alors ces fonctions n’avaient jamais été attribuées à un personnage de son rang, et, en les confiant au maître de Saint-Jacques, les ligueurs montraient bien qu’ils voulaient donner à leur captif un surveillant incorruptible. Après que le roi eut été ainsi contraint d’assister au partage de ses propres dépouilles, on le sépara des officiers ordinaires de sa maison, et on le conduisit dans un palais de l’évêque de Zamora, où don Fadrique commit à sa garde don Lope de Bendaña, ce commandeur de Saint-Jacques qui refusait quelques mois auparavant de recevoir le roi dans le château de Segura. Un écuyer du Maître couchait toutes les nuits dans la chambre de don Pèdre ; ses gardiens avaient ordre de ne pas le perdre de vue un seul instant ; enfin personne n’était admis en sa présence qu’avec l’autorisation de don Fadrique. Dès le jour même, tous les emplois publics furent partagés entre les principaux ligueurs. Chacun voulait une récompense et la demandait avec arrogance comme sa part du butin. Don Fernand de Castro avait d’avance fait connaître la sienne ; c’était la main de doña Juana, la fille naturelle du roi don Alphonse et de Léonor de Guzinan. Ce fut en vain que don Pèdre essaya de protester contre cette union. L’orgueil des bâtards n’en souffrait peut-être pas moins que celui du roi ; mais don Fernand de Castro exerçait encore tant d’influence parmi les confédérés, qu’il eût été dangereux de lui manquer de parole. Le comte de Trastamare, comme chef de famille, disposa de sa sœur, et le mariage fut célébré sur-le-champ en grande pompe dans la cathédrale de Toro. Presque aussitôt après, eurent lieu avec la même magnificence les obsèques d’Alburquerque, dont les mânes vengées pouvaient enfin trouver le repos après la victoire. La reine douairière d’Aragon, don Tello et une foule de seigneurs suivirent le funèbre cortége jusqu’au monastère de l’Épine désigné par Alburquerque lui-même pour le lieu de sa sépulture[1].

  1. Ayala, p. 172.