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d’appui contre le reste. Quant à moi, qui conseille au roi de se rendre à Toro, je l’y accompagnerai, et, quelque péril qui menace l’oncle de doña Maria de Padilla, il ne sera pas dit qu’il ait jamais balancé à suivre son seigneur[1].

Don Pèdre loua sa générosité et se rendit à ce conseil. Après avoir pourvu de son mieux à la sûreté de Marie de Padilla, il partit pour Toro, accompagné seulement de Hinestrosa, de son trésorier Simuel Levi et de son chancelier-privé Fernand Sanchez. Parmi tous les seigneurs qui formaient la petite cour d’Urueña, ce furent les seuls qui consentirent à le suivre. Une centaine d’officiers inférieurs ou de valets composèrent son escorte, tous sans armes et montés sur des mules.

Instruits du départ de ce triste cortège, les chefs des confédérés s’étaient portés assez loin à sa rencontre, bien montés et revêtus d’habits magnifiques sous lesquels ils laissaient voir leurs armures[2], comme s’ils eussent voulu par cet appareil guerrier contraster avec l’humble suite du roi vaincu. Après lui avoir baisé la main, ils le conduisirent à la ville avec de grands cris de joie, caracolant autour de lui, faisant des fantasias, et se poursuivant les uns les autres en se lançant des cannes à la manière arabe[3]. On dit que, lorsque don Henri s’approcha de son frère pour le saluer, le malheureux monarque ne put retenir ses larmes. « Que Dieu vous fasse merci ! s’écria-t-il. Pour moi, je vous pardonne[4]. » La reine-mère et doña Léonor l’attendaient dans le monastère de Saint-Dominique ; on l’y mena sur-le-champ sans lui faire traverser la ville, de peur sans doute que le peuple ne s’émût au spectacle de son roi prisonnier. Les deux reines l’accueillirent comme un enfant mutin qui rentre à la maison paternelle, résigné à la correction qui attend sa désobéissance. « Beau neveu, dit la reine d’Aragon, ainsi vous sied-il de vous montrer au milieu de tous les grands de votre royaume, non plus comme naguère, errant de château en château pour fuir votre femme légitime. Mais à vous n’est pas la faute, jeune d’âge comme vous êtes ; elle est à ces méchans qui s’étaient emparés de vous, à un Juan de Hinestrosa que je vois ici, à un don Simuel Levi et autres, leurs pareils. Maintenant on donnera bon ordre à les éloigner, et à placer auprès de vous des gens de bien qui prennent soin de votre honneur et de vos intérêts[5]. » Aussitôt le roi s’écria que Juan de Hinestrosa n’avait aucun tort, et qu’il espérait bien qu’on traiterait avec égards un homme qui venait sous sa sauvegarde. Ces protestations furent inutiles. Sous les yeux mêmes de don Pèdre, on arrêta ses serviteurs

  1. Ayala, p. 168.
  2. Ibid., p. 168.
  3. Sumario, etc., p. 64.
  4. Ibid., ib.
  5. Ayala, p. 169.