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Don Pèdre, ayant promis de nommer ses quatre arbitres, l’infant don Fernand et ses compagnons prirent congé de lui avec les mêmes marques de respect qu’ils lui avaient témoignées en arrivant[1].

Ainsi se termina la solennelle entrevue de Tejadillo qui, comme on le voit, n’apportait aucun changement à la situation. Vraisemblablement le roi s’était imaginé que les rebelles, comme à Cigales, allaient tomber à ses pieds et s’en remettre à sa merci. Déçu dans cet espoir, il n’emporta de la conférence que des souvenirs amers et une haine mortelle contre tous les hommes qu’il avait vus en armes lui donner d’austères conseils et lui adresser de libres remontrances. Les noms de ces vingt chevaliers, ses sujets, qui s’étaient rangés face à face devant leur souverain, mettant des conditions à leur obéissance, ne sortirent jamais de sa mémoire, et, dès ce jour peut-être, il fit le serment d’en tirer une vengeance terrible. De retour à Toro, loin de nommer des arbitres, comme il l’avait promis, il ne songea qu’à poursuivre les négociations secrètes entamées déjà avec quelques-uns des ligueurs. Cependant l’hiver approchait, et le roi se flattait qu’il amènerait la dissolution de l’armée ennemie. Le pays était dévasté, et, de part et d’autre, on était aussi peu disposé qu’auparavant à mettre fin à cette guerre sans combats, qui ruinait la Castille autant qu’une invasion étrangère.


VII.

La rigueur de la saison et le manque de vivres obligèrent les confédérés à quitter leur position de Morales pour se porter du côté de Zamora. Leur armée défila le long des remparts de Toro lentement et en bon ordre, faisant montre du grand nombre de ses bannières, pendant que le roi, en dehors des barrières avec un petit nombre de cavaliers, l’observait et semblait en passer la revue. Le bataillon des vassaux d’Alburquerque attirait tous les regards. Fidèles à leur serment, ils portaient au milieu de leurs enseignes le corps de leur seigneur dans un cercueil recouvert d’un drap d’or. En passant devant les murs de Zamora, la plupart des chefs mirent pied à terre et portèrent ce cercueil en pompe sur leurs épaules comme pour braver le roi par cet honneur rendu aux restes de son ennemi. On disait que les vivans et les morts même faisaient la guerre au roi. Dès que l’armée fut hors vue, don Pèdre, persuadé qu’il en était débarrassé pour long-temps, galopa, avec une centaine de chevaux seulement, jusqu’au château d’Urueña où il avait établi sa maîtresse ; car dans les circonstances présentes, il évitait de se montrer publiquement avec elle dans une grande ville. A Toro, il laissait son trésor et sa petite armée aux ordres de sa

  1. Ayala, p. 157-164.