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un témoignage pour vaincre ses derniers scrupules. A sa prière, deux prélats, les évêques de Salamanque et d’Avila, mandés par le roi et sommés d’attester qu’il était libre de contracter mariage, n’hésitèrent point à confirmer la déclaration des premiers arbitres, soit qu’ils cédassent à des menaces, soit qu’ils se fussent laissé gagner par des présens. Doña Juana se rendit alors, et le mariage fut aussitôt célébré dans l’église de Cuellar, où l’évêque de Salamanque bénit les deux époux.

Quelque aveugles que puissent être les passions d’un roi de dix-huit ans, on a peine à s’expliquer un fait de bigamie aussi scandaleux. Admettra-t-on une erreur de don Pèdre lui-même au sujet de la validité de son engagement avec Blanche de Bourbon ? L’historien Ayala, qui fournit seul quelques renseignemens sur ce fait étrange, rapporte que le roi, pour prouver la nullité de son mariage avec la princesse de France, aurait invoqué certaines protestations faites par lui à Valladolid au moment de ses noces ; mais de ces protestations il n’existe aucune trace, et plus tard elles ne furent jamais reproduites. Quelle contrainte d’ailleurs pouvait y donner lieu ? A l’époque où don Pèdre se rendit auprès de Blanche, l’autorité, ou, si l’on veut, la domination d’Alburquerque venait de céder à l’ascendant de Marie de Padilla, c’est-à-dire de la personne la plus intéressée à trouver des argumens ou des prétextes contre ce mariage. Or, on a vu, au contraire Marie de Padilla intervenir pour opérer une sorte de réconciliation entre son amant et la jeune reine. Quel moment plus favorable aurait pu trouver don Pèdre, non pour protester contre son mariage, mais pour le rompre, que celui de son arrivée à Valladolid, lorsque, soutenu par les forces de don Henri et de don Tello, il venait de secouer le joug de sa mère et de son ministre ? Malgré toutes ces considérations, je ne pense pas que l’on doive absolument révoquer en doute la réalité d’une protestation secrètement faite par le roi. Tout en cédant aux instances de sa mère et d’une partie de ses conseillers, il voulut peut-être se ménager pour un jour à venir les moyens d’invoquer la nullité d’une union qu’il ne contractait qu’avec la plus grande répugnance. Sans doute les réserves qu’il put faire alors ne devaient, selon ses calculs, profiter qu’à Marie de Padilla. Maintenant il s’en servait contre elle. Sa duplicité, à l’égard de doña Juana, devint bientôt manifeste. Tout prouve que dans l’emportement d’un dépit amoureux contre Marie de Padilla il aurait cherché à lui donner une rivale, ou peut-être seulement à lui prouver qu’il pouvait aimer ailleurs. Charmé un moment par la beauté de doña Juana, irrité par sa résistance, il eut recours, pour triompher de ses scrupules, à une comédie sacrilège. Rien ne lui coûte pour satisfaire sa passion. Il gagne les parens de Juana, il corrompt ou intimide les évêques, il prononce tous les sermens qu’on exige de lui, enfin il