La situation des affaires n’a pas changé en Italie. On se rappelle que les troupes du duc de Modène avaient, le 5 novembre, occupé Fivizzano, que cette prise de possession subite avait causé une grande agitation en Toscane, que le grand duc avait protesté, mais que cette protestation ne portait que sur la forme de l’occupation. Nous avions exprimé l’opinion que l’agitation qui s’était manifestée à Florence, à Pise, à Livourne, n’aurait pas de conséquences sérieuses. Ces prévisions, jusqu’à présent, n’ont pas été démenties. La protestation du grand-duc a satisfait les esprits. Toutefois le droit qu’avait le duc de Modène d’occuper Fivizzano ne lui donnait point celui d’être brutal ; il a paru le sentir lui-même, car il a cherché à rejeter sur le grand-duc la responsabilité d’une rixe sanglante provoquée par ses soldats. Les journaux ont publié une lettre qui lui était attribuée, et dans laquelle il annonçait que, s’il rencontrait de la résistance, il aurait derrière lui trois cent mille hommes pour le soutenir. Cette lettre était fort probablement apocryphe. Le duc de Modène, comme les gens qui n’ont pas grand’chose à perdre, serait sans doute disposé à casser les vitres, mais il doit bien savoir qu’il ne peut pas compter sur les trois cent mille hommes dont il se pare.
Lord Minto est arrivé à Rome. Il y a trouvé un accueil assez populaire ; il y a reçu des sérénades ; il a crié comme tout le monde : Viva Pio nono ! L’objet de sa mission, du reste, se limite de plus en plus. Le marquis de Lansdowne a déclaré dans le parlement, au nom du cabinet anglais, que lord Minto n’était allé à Rome que pour engager les gouvernemens et le peuple d’Italie à se conduire de manière à éviter la calamité d’une intervention militaire étrangère, et il a ajouté que les conseils du gouvernement anglais ne seraient donnés qu’avec le concours des autres puissances. Voilà tout l’objet de la mission de lord Minto. Quant à l’établissement de relations officielles entre le gouvernement anglais et la cour de Rome, il ne paraît pas avoir fait beaucoup de progrès. Nous avons dit que la condamnation portée par le saint-siège contre les collèges fondés en Irlande par un acte du parlement avait singulièrement indisposé l’opinion publique en Angleterre. Ce sentiment n’a fait qu’augmenter ; nous avons vu les journaux anglais déclarer que cette sentence du pape était la plus grave atteinte qui eût été portée à l’indépendance du pouvoir temporel depuis la réformation, et signifier à la cour de Rome que le temps des soulèvemens populaires contre le papisme n’était pas encore passé, et que l’on pourrait bien revoir les Gordon riots, qui, à la fin du siècle dernier, avaient failli mettre le feu aux quatre coins de Londres. Il y a loin de là, comme on voit, aux ovations qu’on décernait naguère au nouveau pontife, et aux toasts qu’on portait à Pie IX. Cette réaction, nous l’avons dit, nous paraît mal justifiée ; il y a, dans cet acte du saint-père, deux côtés à considérer, le côté spirituel et le côté temporel.
Nous ne voyons pas en quoi le pape a porté atteinte à la souveraineté temporelle de la reine ou du parlement d’Angleterre. Ce n’est pas à des Irlandais, mais à des catholiques qu’il s’adresse ; ce n’est pas à des sujets temporels de tel ou tel souverain, mais à ses propres sujets spirituels sans acception de nationalité. Les Anglais eux-mêmes, quand ils chantaient les louanges de Pie IX, ne faisaient-ils pas cette distinction ? Ce qu’ils saluaient en lui, n’était-ce pas simplement et uniquement le réformateur politique ? Pourquoi donc n’admettent-ils pas chez eux cette séparation qu’ils reconnaissent chez les autres ? Pourquoi veulent-ils voir dans le pape, non plus le chef de l’église catholique, mais, selon leur expression, un ecclésiastique italien ?