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qu’un commentaire de la loi, une fiction populaire destinée à perpétuer le souvenir de la justice de don Pèdre.

Ce mépris pour les immunités ecclésiastiques qui, dans ce temps, pouvait passer pour de l’impiété, n’empêchait pas don Pèdre de méditer une croisade, projet digne de son âge, et naturel chez un prince espagnol. On rapporte qu’un certain Abdallah, roi de Tremecen, pressé par les Beni-Merin de Fez, avait promis à don Alphonse, pendant le siége de Gibraltar, d’embrasser la religion chrétienne et de lui faire hommage de ses états, si on lui accordait quelques secours pour se défendre contre ses voisins. Don Pèdre avait repris les négociations commencées par son père, et demandait au pape Innocent VI un subside, des indulgences et l’étendard de l’église pour entreprendre une expédition en Barbarie[1]. Que la conversion du prince africain fût réelle ou qu’elle servît seulement de prétexte pour obtenir les subsides du saint-siége, don Pèdre s’amusa quelque temps à ces préparatifs guerriers ; mais bientôt d’autres soins vinrent le distraire, et il trouva trop d’occupations dans son royaume pour songer à des conquêtes outremer.


VI.

Pendant le séjour du roi à Séville, plusieurs partisans d’Alburquerque, qui lors de sa disgrace étaient sortis du royaume, se hasardèrent à reparaître en Castille, persuadés que quelques mois d’exil avaient suffi pour les faire oublier. Le maître de Calatrava, don Juan Nuez de Prado, principal confident de l’ancien ministre, était allé chercher un asile en Aragon, dans la commanderie d’Alcañiz, dépendant de son ordre ; car alors, bien que la chevalerie de Calatrava eût son chef-lieu et son maître en Castille, elle possédait néanmoins des établissemens considérables dans d’autres royaumes de la Péninsule. Sous la protection de l’Aragonais, Nuñez de Prado aurait pu braver le courroux de don Pèdre, ou tout au moins se ménager une amnistie spéciale ; mais bientôt, reprenant confiance, trompé peut-être par de perfides promesses[2], après huit mois d’absence, il rentra en Castille et s’arrêta dans la commanderie d’Almagro. Dès que le roi en fut informé, il y courut précédé par don Juan de la Cerda, devenu l’un de ses favoris depuis l’éloignement d’Alburquerque. La Cerda, réunissant aux hommes d’armes qu’il amenait la milice bourgeoise de Ciudad-Real, se hâta d’investir le château d’Almagro. Un des Frères de Calatrava, parent du maître, lui conseillait de sortir sur-le-champ avec cent cinquante

  1. Rainaldi, Ann. Eccles. Année 1354. – Ayala, p. 115.
  2. Rades, Cron. De Calat., p. 54.