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II.

Presque en même temps, don Henri et don Tello, avertis par Gonzalez de Bazan, officiellement chargé de les convier aux noces du roi, et de leur porter un sauf-conduit pour s’y rendre, s’étaient mis en marche avec une suite si nombreuse, qu’on aurait pu la prendre pour une armée. Arrivés à Cigales, à deux lieues de Valladolid, ils y campèrent avec six cents lances et quinze cents hommes de pied asturiens, publiant qu’ils venaient aux noces du roi, mais qu’ils n’entreraient pas dans la ville, à moins qu’on n’y reçût leur escorte avec eux. Ils rappelaient l’assassinat de Garci Laso de la Vega, et déclaraient qu’ils ne se laisseraient pas surprendre comme lui aux fallacieuses promesses d’Alburquerque.

Peu de jours après, le roi, accompagné de toute sa cour, fit son entrée dans Valladolid. Dès le lendemain, le ministre en sortit avec le roi et des troupes assez nombreuses, en intention d’aller attaquer don Henri et don Tello à Cigales. A l’entendre, les deux bâtards ne venaient pas sans mauvais desseins, suivis d’une si puissante escorte, bardés de fer et bannières levées. Puisqu’ils osaient se montrer en rase campagne, il fallait profiter de l’occasion pour les exterminer. Bien que le roi sût mieux que son ministre les véritables desseins de ses frères, il ne fit aucune difficulté pour marcher à leur rencontre. Il s’avançait vers Cigales, lorsqu’il fut joint par un écuyer de don Henri, armé de pied en cap, porteur d’un message de son maître. « Le comte, dit l’écuyer, vous baise les mains et s’empresse d’obéir à vos ordres en venant à vos noces. Il vous supplie de ne pas vous étonner s’il se présente si bien accompagné, sachant que son ennemi, don Juan d’Alburquerque, ne l’est pas moins. Croyez d’ailleurs que mon maître est prêt à se mettre à votre merci, dès que vous daignerez lui donner des garanties contre les entreprises d’un homme dont il a tout lieu de craindre la puissance et le ressentiment. » Le roi écouta froidement ce discours, puis, soit dissimulation, soit habitude d’abandonner toutes les décisions à son ministre, il se tourna vers lui, et lui dit en souriant : « Vous avez entendu l’ambassadeur du comte et de don Tello. Cela vous regarde. » Aussitôt Alburquerque s’écria que le comte et son frère s’excusaient mal de leur audace à se présenter en armes devant leur roi, comme s’ils doutaient qu’il sût maintenir l’ordre et la paix dans sa cour ! N’avaient-ils pas reçu des lettres de sûreté ! Les regarder comme insuffisantes, c’était un acte de rébellion. A tant d’insolence il reconnaissait les perfides conseils de Pero Ruiz de Villegas, le confident des deux frères[1]. Don

  1. Majordome de don Tello et signataire de l’acte d’hommage au roi d’Aragon, passé à Lérida l’année précédente.