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Alburquerque donna dans le premier piège qu’on lui tendit, en acceptant une mission frivole auprès du roi de Portugal. Quitter la cour, c’était laisser le champ libre à ses ennemis. Pendant son absence, un gentilhomme, nommé Juan Gonzalez de Bazan, attaché à la maison du comte don Henri, servit d’intermédiaire entre le roi et les deux bâtards[1]. L’accord fut conclu avec le même secret qui avait couvert les premières négociations.

Cependant Blanche de France était déjà en Castille avec un grand nombre de seigneurs français et les ambassadeurs qui étaient allés la demander au roi son oncle. La mère de don Pèdre et la reine doña Léonor s’étaient avancées jusqu’à Valladolid pour recevoir la princesse. C’était dans cette ville que le mariage devait se célébrer, et elles y demeuraient depuis plusieurs mois sans que don Pèdre parût songer à les rejoindre. Délivré de son ministre, séparé de sa mère, il se croyait véritablement roi et s’était établi à Torrijos, près de Tolède, donnant des fêtes et des tournois[2] à sa maîtresse, plus épris d’elle que jamais. Enivré des divertissemens et des flatteries de sa jeune cour, il semblait avoir oublié l’alliance qu’il venait de contracter et ne s’occupait qu’à inventer de nouveaux plaisirs. Au milieu des pompes joyeuses de Torrijos parut tout à coup un visage sévère ; c’était Alburquerque, rappelé à l’improviste par le scandale public. Son langage fut triste et grave. Il représenta l’affront fait à la maison de France et l’anxiété de toute la Castille, qui attendait du mariage de son roi une garantie de tranquillité pour l’avenir. Aux troubles qu’avait occasionnés sa maladie, la première année de son règne, don Pèdre pouvait pressentir quelle serait la situation de tout le royaume, si la mort venait à le surprendre avant qu’il eût laissé un héritier direct. Le respect dû à un traité solennel, l’avenir du pays, l’honneur de la couronne, l’obligeaient à se rendre sans plus de retard auprès de la princesse sa fiancée. Don Pèdre, contraint par l’évidence et subjugué par l’ascendant de son austère conseiller, consentit à partir pour Valladolid. Vers le commencement de mai 1353, il laissa Marie de Padilla dans le fort château de Montalvan, sous la garde d’un frère bâtard qu’elle avait, nommé Juan Garcia de Villagera. Toutes les mesures que l’amour put lui suggérer furent prises pour mettre cette retraite à l’abri d’une attaque, et le roi ne cachait à personne que tant de précautions lui paraissaient nécessaires contre le mauvais vouloir d’Alburquerque. Enfin, triste et mal résigné, il s’achemina vers Valladolid.

  1. Cfr. Ayala, p. 88 et 90.
  2. Don Pèdre fut grièvement blessé au bras dans un tournoi dont il était un des tenans. Cette blessure contribua peut-être à prolonger son séjour à Torrijos.