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mais, habitué à laisser faire son ministre, il demeurait impassible et ne donnait aucun ordre. Sur un signe d’Alburquerque, Coronel, conduit quelques pas plus loin. fut décapité avec plusieurs chevaliers de sa suite, entre autres Alphonse Carrillo, brave gentilhomme d’une famille dévouée aux Lara, autrefois gouverneur, pour doña Leonor de Guzman, des châteaux de Lucena et de Cabra. Compère et frère d’armes de Coronel, il était venu s’enfermer dans Aguilar aussitôt qu’il avait su la situation désespérée de son ami[1].

Ainsi périt, après un siége de quatre mois, cette poignée de braves gentilshommes dont l’héroïque résistance égala la témérité. Alonso Coronel avait mal connu ses forces. Ce n’était point un soldat de fortune comme lui, un chevalier d’aventure, ainsi disait-on alors, que les riches-hommes, mécontens du gouvernement d’Alburquerque, auraient consenti à prendre pour leur chef. Il manquait à la faction de Lara un grand nom pour rallier ses débris. Henri de Trastamare, mari de la nièce de don Juan Nuñez, n’avait que vingt ans, et l’Espagne ignorait encore et son génie et son audace.


VII.

RECONCILIATION DE DON PEDRE AVEC SES FRERES. – INFLUENCE DE DOÑA MARIA DE PADILLA. — 1353-1354.


I.

Jusqu’à présent on a vu don Pèdre n’avoir d’autres volontés que celles de son ministre : le moment approchait où cette domination allait cesser. Alburquerque et la reine-mère, ayant résolu de marier le jeune prince, avaient jeté les yeux sur la maison de France pour l’union qu’ils projetaient. Pendant la session des cortès de Valladolid, des ambassadeurs s’étaient rendus à Paris, chargés de demander au nom de don Pèdre la main de Blanche, nièce du roi Jean et fille du duc de Bourbon, alors âgée de quinze ans à peine. On vantait partout sa beauté, sa douceur, sa grace naïve. La princesse, solennellement fiancée au roi de Castille, n’attendait, pour passer en Espagne, que la fin des troubles qui obligeaient don Pèdre à parcourir ses provinces à la tête d’une armée. En même temps que le ministre traitait de cette illustre alliance, il ne dédaignait pas de s’occuper en secret d’une négociation moins honorable, mais dont le succès, selon ses calculs, devait lui assurer la continuation de sa haute influence. Déjà, plusieurs fois, l’humeur altière du jeune roi s’était révélée par des velléités d’indépendance, rapides comme des éclairs, alarmantes cependant pour un

  1. Ayala, p. 80 et suiv.