Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/911

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quoi qu’il en soit, et quelque sincère que fût l’amnistie accordée à don Henri, celui-ci ne jugea pas à propos de paraître encore devant son frère. Il retourna dans les Asturies, n’ayant rien perdu de ses dispositions factieuses, car on l’y retrouve bientôt recrutant des hommes d’armes et travaillant sans relâche à se faire un parti. Grace à l’intervention du roi de Portugal, il venait d’obtenir la levée du séquestre mis sur ses biens et ceux de sa femme doña Juana de Villena[1]. Il se servit de ces nouvelles ressources pour augmenter le nombre de ses créatures et pour essayer de fonder dans les Asturies une suzeraineté indépendante. Probablement ses rêves d’ambition n’allaient pas encore plus loin.

Alburquerque, méprisant les menées obscures de don Henri dans le nord, surveillait non sans inquiétude les préparatifs plus menaçans de quelques riches-hommes de la Castille, anciens partisans de la faction des Lara. Depuis la mort tragique de Garci Laso, don Alonso Fernandez Coronel aspirait à devenir le chef de ce parti vaincu, mais non point détruit. On a vu ce seigneur abandonner doña Léonor aussitôt après la mort du roi don Alphonse, et, pour prix de sa prompte défection, obtenir les bonnes graces d’Alburquerque. Il en avait reçu, avec la bannière et le chaudron de riche-homme, la vaste seigneurie et le fort château d’Aguilar, produits d’une confiscation ordonnée par le feu roi. A la vérité, Coronel prétendait qu’il avait payé assez chèrement ces faveurs au ministre[2] pour être dispensé de toute reconnaissance. De simple chevalier devenu riche-homme de nom et de fait, il s’était attaché avec plus de zèle que jamais à la cause de don Juan Nuñez, et pendant la maladie de don Pèdre, il s’était employé avec une ardeur quelquefois imprudente à soutenir ses prétentions tant en Castille que dans l’Andalousie. Le rétablissement du roi, la mort du seigneur de Lara, avaient pour un moment déconcerté ses projets, et, déjà suspect au nouveau gouvernement, il avait cru prudent de ne point paraître aux cortès de Valladolid. Averti par le meurtre de Garci Laso du sort

  1. Voir le préambule d’une charte de don Henri rapportée par Pellicer (Informe de la casa de los Sarmientos de Villamayor). Don Henri reconnaît que le roi lui a pardonné tous ses méfaits (todos los malefcios que ayamos fecho fastaqui), et qu’il lui a rendu ses biens et ceux de doña Juana sa femme. Gijon, 16 juin, l’an de l’ère 1390 (1352). — Ayala, p. 76. Note de Llaguno. — N. B. Les Castillans dataient alors leurs actés de l’ère de César Auguste, c’est-à-dire de l’année du dénombrement général prescrit par cet empereur. Elle commence 38 ans avant l’ère vulgaire. Les Aragonais, qui long-temps avaient suivi le même système, l’avaient abandonné à l’époque où commence ce récit.
  2. Ayala, p. 66 et suiv. — Le château d’Aguilar avait appartenu à don Gonzalo Fernandez, et était depuis entré dans le domaine royal. Ayala rapporte que Coronel l’avait obtenu d’Alburquerque en lui promettant en échange le château de Burguillos, que dans la suite il refusa de lui livrer.