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l’exécution avec de nouvelles instances. Le roi promet de la remettre en vigueur, et cependant autorise la répétition des terres aliénées au mépris des ordonnances de son prédécesseur[1].

L’existence des behetrias, ces petites républiques dont le principal privilège était de changer de seigneur suivant le choix de leurs habitans, était pour la noblesse castillanne une occasion de querelles incessantes. Dans un temps où la force seule était respectée, la volonté de ces paysans privilégiés ne dépossédait réellement un seigneur que lorsqu’elle était appuyée par les armes de celui qu’on élisait pour lui succéder. De là des guerres et des combats continuels. D’un autre côté, quand les seigneurs, possesseurs temporaires de behetrias, comparaient le peu d’étendue de leurs droits et leur incertitude avec la puissance plénière des propriétaires de fiefs leurs voisins, ils éclataient en plaintes contre des institutions si humiliantes pour leur orgueil ; ils en demandaient l’abolition ; ils réclamaient le partage des behetrias au nom de la paix du royaume, avouant ainsi sans pudeur et leur avidité et leur humeur querelleuse. Les débats auxquels donna lieu la question des behetrias furent longs et animés. Il ne paraît pas que les habitans de ces bourgades eussent dans les cortès d’autres représentans que leurs seigneurs. Consulter des paysans sur leurs intérêts ou même sur leur sort n’était pas une idée que pussent concevoir les législateurs du XIVe siècle. Alburquerque pressait le partage des behetrias par un motif de cupidité personnelle, ayant du chef de sa femme un grand patronage sur ces territoires privilégiés. Mais d’autres seigneurs, propriétaires comme lui, craignirent sa partialité dans la répartition des terres et dans l’examen difficile des droits allégués par les nombreux prétendans. Grace à leur opposition, les choses demeurèrent sur l’ancien pied. Cette jalousie inquiète, particulière à la noblesse du moyen-âge, obligeait les riches-hommes à sacrifier leurs avantages personnels à la crainte de les voir partager par leurs voisins. Cependant le ministre avait fait parler le roi. Au vœu exprimé par les seigneurs intéressés à la suppression des behetrias, il avait répondu en admettant la mesure en principe ; il s’engageait même à renoncer au droit de justice, qui lui appartenait sur ces bourgs à l’exclusion des seigneurs propriétaires. Toutefois la solution définitive dut être ajournée jusqu’après une enquête sur les droits des intéressés. A cet effet, on nomma des commissaires spéciaux ; mais il paraît qu’elle n’eut aucun résultat, les rivalités des seigneurs ayant soulevé sans doute des questions encore plus graves et plus difficiles à résoudre que celle de leurs titres de suzeraineté tels qu’ils existaient dans la constitution actuelle des behetrias[2].

  1. Ord. de Fijosdalgo, art. 28.
  2. Ofr. Ayala, p. 50 et suiv. — Ord. de Fijosdalgo, art. 4, 5, 6, 13, 15, 21.