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lige de son frère don Fadrique, qui n’avait point encore paru à la cour, bien qu’il eût envoyé son acte d’allégeance en même temps que don Henri venait en personne demander son pardon. L’entrevue eut lieu à Llerena, une des principales commanderies de Saint-Jacques, où les chevaliers, prévenus d’avance, s’étaient réunis en grand nombre de toutes les parties du royaume. Le maître reçut son frère avec les plus grandes démonstrations de respect, et lui offrit la magnifique hospitalité qu’on pouvait attendre de l’ordre puissant dont il était le chef. A Llerena, on exigea des commandeurs de Saint-Jacques le serment de fidélité et d’hommage prêté peu de mois auparavant, à Séville, par les chevaliers d’Alcantara. Il contenait la même clause, nouvelle encore à cette époque, c’est à savoir que le maître ne serait reçu dans les forteresses de l’ordre qu’avec la permission du roi[1]. Déjà une tendance monarchique commençait à modifier les institutions féodales, et peu à peu le pouvoir des maîtres, autrefois sans contrôle, allait se réduire à l’autorité frivole d’une charge de cour. Les chevaliers avaient perdu le droit d’élire leurs maîtres, on voulait que ces maîtres ne fussent plus que les lieutenans des rois.

Don Pèdre, ou plutôt Alburquerque en son nom, après avoir assuré don Fadrique du retour de ses bonnes graces, le dispensa, ainsi parle le chroniqueur, d’assister aux cortès convoquées à Valladolid[2]. Que son éloignement de cette assemblée soit attribué au choix libre du maître de Saint-Jacques, ou bien aux soupçons du ministre, on voit dans la décision royale une preuve que la présence des chefs d’ordres militaires était d’usage dans les cortès générales. On peut en inférer aussi qu’elle dépendait, à certains égards, de la volonté du souverain.

La reine Marie accompagnait le roi dans ce voyage, traînant à sa suite la malheureuse doña Léonor. Don Fadrique, son fils, demanda et obtint la permission de la voir. En présence des geôliers, la mère et le fils, tous les cieux si déchus de leur haute fortune, se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, et, pendant une heure qu’il leur fut accordé de passer ensemble, ils pleurèrent sans se dire une parole. Puis, un page vint annoncer à don Fadrique qu’il eût à se rendre chez le roi. Après un dernier embrassement, il quitta sa mère pour ne plus la revoir[3]. Le sort de l’infortunée avait été résolu. De Llerena, par l’ordre d’Alburquerque, elle fut conduite au château de Talavera, appartenant à la

  1. Ayala, p. 35. — Rades, Cron. de Santiago, p. 45.
  2. Ayala, p. 35.
  3. Ayala, p. 36.