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méprisant la jeunesse de don Henri et de don Fadrique, affectait de ne voir en eux que des étourdis qu’une réprimande suffirait à châtier ; il réserva ses rigueurs contre leur mère, doña Léonor. Au mépris du sauf-conduit qu’elle avait obtenu, elle fut renfermée dans l’Alcazar de Séville et traitée en prisonnière d’état. On lui permit cependant de communiquer avec ses fils. Auprès d’elle se trouvait doña Juana de Villena, nièce de don Juan Nuñez, déjà fiancée au comte de Trastamare. De ce mariage dépendait l’espoir d’attacher irrévocablement la puissante maison de Lara à la fortune de ses fils. Mais déjà le seigneur de Villena, neveu de don Juan Nuñez, élevant ses prétentions, pensait à rompre l’alliance projetée sous le dernier règne, et prétendait donner sa sœur soit à l’infant don Fernand d’Aragon, soit au jeune roi lui-même. Du fond de sa prison, Léonor, poursuivant toujours la grandeur de sa famille, eut l’art de déjouer ces projets. Elle exerçait un empire absolu sur l’esprit de la jeune héritière de Villena, depuis long-temps habituée à la considérer comme une mère, et il ne lui fut pas difficile d’en obtenir l’obéissance et le secret. Le mariage de don Henri et de doña Juana fut célébré et consommé dans le palais même qui servait de prison à Léonor, avant qu’aucune des parties intéressées à le prévenir en fût instruite[1]. Quelques heures plus tard, la reine et don Juan d’Alburquerque faisaient éclater leur colère en se voyant ainsi joués par leur captive. On redoubla de rigueur contre doña Léonor ; on la sépara de son fils pour la conduire dans le château de Carmona, où elle fut étroitement resserrée. Quant au comte don Henri, il était sur ses gardes et n’attendit pas la vengeance de ses ennemis : il sortit secrètement de Séville, emportant quantité de pierreries que sa mère était parvenue à mettre entre ses mains. Marchant à grandes journées, suivi de deux cavaliers fidèles, Pero Carrillo et Men Rodriguez de Senabria[2], tous les trois le visage couvert de masques de cuir, selon l’usage du temps, traversèrent toute l’Espagne sans être arrêtés ni reconnus, et, après bien des fatigues, gagnèrent enfin les Asturies, où ils se flattaient de trouver quelque sécurité au milieu de vassaux dévoués[3].


II.

La paix était rétablie dans la Castille, et l’impuissance des efforts

  1. Ayala, p. 25.
  2. Men paraît avoir été un titre honorifique particulier à quelques provinces d’Espagne. Il correspond à notre messire, au don castillan et à l’en des Catalans, avec cette différence que men précède un nom patronymique, tandis que don et en ne se mettent que devant un prénom.
  3. Ayala, p. 26.