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et y succomba au milieu de son camp, à la fleur de l’âge, le vendredi saint, 27 mars 1350. Sa mort plongea dans la désolation l’Espagne entière. Les musulmans eux-mêmes firent éclater leur admiration pour leur redoutable ennemi ; ils cessèrent toute hostilité contre l’armée, qui s’éloignait de leurs remparts emportant le cercueil de son roi, et la terreur du nom d’Alphonse sembla dicter la paix avantageuse aux chrétiens qui se conclut presque aussitôt après la levée du siège de Gibraltar[1]


II.

Pour apprécier les conséquences de cette mort, il est nécessaire de connaître quels étaient les principaux personnages appelés à jouer un rôle à l’occasion de ce grand événement. Alphonse ne laissait qu’un fils légitime, don Pèdre, alors âgé de quinze ans et quelques mois, dont la mère, doña Maria, était une infante de Portugal, fille du roi Alphonse IV, surnommé le Brave. La politique seule avait formé cette union, qui ne fut pas heureuse. Peu de temps après le mariage du roi[2], doña Léonor de Guzman, jeune veuve issue d’une famille illustre de Séville, avait pris sur son esprit l’empire le plus absolu. Dès que la reine doña Maria eut donné un héritier à la Castille, en 1334, elle fut complètement négligée par son mari. Doña Léonor, au contraire, était la confidente de tous les projets d’Alphonse ; elle habitait publiquement avec lui. C’était en sa présence que les officiers de justice et de chancellerie expédiaient toutes les affaires, c’était à elle qu’ils en rendaient compte en l’absence du roi. « Elle donnait sa main à baiser, dit un chroniqueur, comme si elle eût été dame propriétaire du royaume de Castille[3]. » Par l’élévation de son esprit et la force de son caractère, la favorite ne se montra pas indigne de sa haute position, et le roi dut peut-être à ses sages conseils une partie de ses succès. Elle avait eu soin de l’entourer de ses parens et de ses alliés, et les principales charges de l’état étaient entre leurs mains. Pour elle-même, elle avait obtenu des domaines immenses, maint château fortifié, de nombreux vassaux. Depuis la mort de son frère, don Alonso Mendez, maître de Saint-Jacques, elle disposait du sceau de l’ordre et en administrait toutes les affaires[4]. Perez Ponce, un de ses parens, était maître d’Alcantara. Elle avait ainsi deux petites armées toujours entre ses mains.

  1. Ayala, p. 12 (Abreviada.)
  2. En 1329. Cron. de don Alf. XI, p. 166.
  3. E quando et rei ia fora do reino os officiaes de justiza e da chancellaria ficavâm com ella como senhora do stado de Castella et faziao o que ella. mandava… E como as mais das mulheres saô naturalmente vans e ambiciosas, moormente as daquelle stado de vida errada, assi dava a mào à beijar como senhora proprietaria do reino de Castella. Chronicas dos reis de Portugal, de Duarte Nunez do Liaò, t. II, p. 95.
  4. Bulario de Santiago, 15 juillet 1350. — V. la note de M. Llaguno, Ayala, p. 22.