Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/883

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

supériorité et les eut réduits à demander grace. Ses premiers succès ne l’aveuglèrent pas sur la gravité du mal qu’il prétendait extirper. Il comprit qu’il fallait donner un cours à l’humeur inquiète et perturbatrice de sa noblesse. Conspirateurs incorrigibles pendant la paix, ses riches-hommes étaient des soldats dociles pendant la guerre. Alphonse les poussa contre les Maures de Grenade, et tourna au profit de sa gloire et de l’agrandissement de son royaume des armes qui depuis long-temps ne s’étaient exercées que dans les discordes civiles. A l’approche de la formidable tempête qui allait fondre sur eux, les Maures andalousiens appelèrent à leur secours leurs frères d’Afrique. Il y avait alors en Barbarie un prince puissant, Abdul-Hassan, qui, après avoir soumis tous les petits despotes musulmans ses voisins, songeait à porter ses armes au-delà du détroit. Il envoya une armée africaine dans l’Andalousie bien plus nombreuse que celle qui, cinq siècles auparavant, avait subjugué toute la Péninsule. Alphonse se montra le digne successeur de Pélage et de saint Ferdinand. Dans le péril général, le courage et l’audace obtiennent l’obéissance la plus absolue. Les communes de Castille, délivrées par leur roi de la guerre civile et des exactions des riches-hommes, lui donnèrent leurs soldats et lui fournirent généreusement toutes leurs ressources pour la terrible lutte qui allait de nouveau décider du sort de l’Espagne. A l’exemple de Charles Martel, Alphonse n’hésita pas à exiger du clergé des sacrifices qui, dans tout autre temps, auraient compromis la tranquillité du royaume. Mais sa cause était juste, il était aimé du peuple, vaillant, généreux ; pas une voix ne s’éleva pour lui résister[1]. De ses voisins, les rois de Portugal et d’Aragon, il n’obtint que de faibles secours, mais leurs bannières suivant la sienne semblèrent lui rendre hommage comme ses vassales et reconnaître la suprématie de la Castille. Le 29 octobre 1340, les deux armées se rencontrèrent non loin de Tarifa, sur les bords du Rio-Salado, et la victoire se déclara pour les chrétiens. Deux cent mille Africains, dit-on, restèrent sur le champ de bataille, et l’Espagne fut pour jamais délivrée de la crainte d’une invasion musulmane. Poursuivant le cours de ses succès, Alphonse attaqua et prit, après un long siège, la forte place d’Algeziras. Il voulait enlever aux infidèles Gibraltar, leur première conquête, qui assurait leurs communications avec l’Afrique. Malheureusement, lorsqu’il se croyait déjà maître de ce dernier boulevard de la puissance arabe, une maladie épidémique, la fameuse peste noire, qui depuis plusieurs années ravageait l’Europe[2], se déclara dans son armée avec une violence extraordinaire. Le roi de Castille, qui partageait toutes les fatigues de ses soldats, fut atteint du fléau

  1. V. Cortes de Valladolid, ord. de Prelados, art. 1, 2, 5.
  2. Ayala, Cron. de don Pedro, p. 8.