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devaient le choisir dans certaines familles nobles du pays, d’autres pouvaient le chercher d’une mer à l’autre, c’est-à-dire dans toute la Castille. On sent que dans un pays où existaient de telles institutions, il eût été difficile d’arrêter la contagion de l’exemple parmi les provinces moins favorisées, si le régime féodal n’eût été fort doux. D’un autre côté, le caractère de la nation espagnole, fière, susceptible, impatiente des injures, contribuait encore plus à maintenir entre le seigneur et le vassal les égards naturels à des hommes qui s’estiment mutuellement.


V.

Bien que les codes autorisassent l’esclavage en Espagne et qu’ils en fissent même la peine de certains crimes[1], il n’y avait guère d’autres esclaves que des musulmans, prisonniers de guerre, employés au service domestique, protégés d’ailleurs par des lois fort anciennes, plus humaines peut-être que celles qui régissent aujourd’hui plusieurs colonies européennes.

Les Maures et les Juifs, lorsqu’ils avaient obtenu de leurs vainqueurs la permission de résider dans le pays qui leur avait donné naissance, étaient considérés légalement plutôt comme des étrangers que comme des serfs. Sauf quelques faibles restrictions, ils jouissaient du libre exercice de leur culte ; ils pouvaient posséder des terres ; ils nommaient leurs magistrats, et même le juge castillan par devant lequel ils plaidaient dans leurs contestations avec des chrétiens[2]. Les premiers rois espagnols, chassant devant eux la population musulmane, l’avaient entièrement dépouillée. Mieux éclairés sur leurs véritables intérêts, leurs successeurs permirent aux infidèles de devenir leurs sujets et souvent prirent soin de leur garantir de la manière la plus formelle la complète jouissance de leurs propriétés[3].

On se tromperait grandement à prêter à l’Espagne du XIVe siècle les passions religieuses et l’intolérance qui l’animèrent au XVIe. Dans les guerres continuelles entre les Maures et les chrétiens, la politique avait depuis long-temps plus de part que le fanatisme. Déjà notoirement en décadence, l’islamisme ne faisait plus de prosélytes, et son extinction définitive dans la Péninsule pouvait être prévue et, pour ainsi dire,

  1. Fuero real, l. 11, lit. 7, lib. iv. — Cfr. avec Ordenamiento de Alcala, l. I, lit. 21.
  2. Cortes de Valladolid, art. 56-58. — Ord. de Prelados, art. 17. — Ayala, p. 64.
  3. Notamment lors de la prise de Tolède. Ayala, II, cap, XVIII. — A la fin du XVIe siècle, il y avait encore tant de musulmans dans les provinces du nord de l’Espagne, qu’ils offraient à Henri IV une armée de 80,000 hommes, s’il voulait les aider à secouer le joug sous lequel ils gémissaient. Voyez Mémoires du maréchal de La Force, publiés par M. le marquis de Lagrange, t, I, p. 219 et suiv.