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exprès du souverain, cependant ils conservaient le droit d’y porter leurs réclamations particulières et d’en suivre la discussion. Il n’en était pas de même pour les députés des communes, qui, représentant la partie de la nation sujette à l’impôt, devaient et pouvaient seuls en autoriser le prélèvement et fournir des ressources nouvelles dans les nécessités publiques. Aux trois ordres, mais surtout aux communes, appartenait l’examen des droits de succession à la couronne, et, d’après un usage qui se perd dans la nuit des temps, les rois désignaient leur héritier dans les cortès, et demandaient aux ordres réunis de le reconnaître en cette qualité.

L’importance politique acquise de bonne heure par les villes en Espagne s’explique naturellement par l’histoire du pays. Lorsque les chrétiens, refoulés par les Maures dans les montagnes des Asturies, se sentirent assez forts pour prendre l’offensive, ils commencèrent cette lente suite de conquêtes qui ne devait se terminer qu’à l’expulsion complète des musulmans. La lutte fut acharnée, et chaque pied de terre fut acheté par un combat. Alors les princes, ou plutôt les capitaines chrétiens, n’avaient, pour récompenser leurs soldats, que cette terre enlevée à l’ennemi. Victorieuses, les bandes espagnoles chassaient devant elles la population musulmane et s’établissaient dans des villes désertes. Aussi les mots de conquête et de colonisation (poblacion) sont-ils synonymes pour les anciens auteurs. Domiciliés dans les villes prises sur les Arabes, les nouveaux colons ne cessaient point d’être soldats et conservaient leurs habitudes militaires. Ils devaient protéger la frontière (extremadura) qui reculait de jour en jour ; ils allaient même chercher au loin l’ennemi, conduits par des chefs qu’ils se donnaient eux-mêmes. Souvent il y avait des alliances de ville à ville, des associations ou confraternités (hermandades), par lesquelles plusieurs communes se confédéraient pour se garantir réciproquement leur indépendance[1]. Il ne s’agissait d’abord que de se réunir pour repousser les Arabes ; dans la suite, ces alliances eurent pour but de défendre les libertés et les privilèges communaux contre tout oppresseur, quel qu’il fût. Toujours armée, la bourgeoisie espagnole formait nécessairement un pouvoir considérable dans l’état, et d’autant plus facilement respecté par les rois, que leur intérêt manifeste était de ménager des hommes qui n’avaient ni l’ambition ni les exigences de la haute noblesse et du clergé.

L’élection des députés aux cortès n’était point directe. Ils étaient nommés par les conseils ou municipalités des villes, dont les membres eux-

  1. Marina, part. II, cap. XXXIX.