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leurs pentes allongées, leurs tranchées abruptes, ou leurs ravins profonds ; les couleurs dont elles se peignent aux différentes heures du jour ; leurs flancs nus et embrasés par le soleil, ou leurs dômes arrondis et rafraîchis par la verdure, la plaine qui les soutient, le ciel qui les couvre, la mer qui s’allonge mollement sur ses rivages sablonneux ou qui heurte et brise ses falaises ; tous les accidens de la nature donnent aux paysages des caractères divers et qui ne peuvent être connus les uns par les autres. Une seule chose peut-être varie d’une manière uniforme sur notre globe, c’est la distribution de la lumière et de la chaleur, molles et plus émoussées vers le nord, plus vives et plus pénétrantes au midi. Celui qui, prêt à quitter la froide et obscure Angleterre pour s’avancer vers des contrées plus chaudes et plus lumineuses, s’interroge lui-même sur ce qu’il va voir, peut se représenter à l’horizon un globe ardent et brillant suspendu dans l’air ; chaque pas qu’il va faire le rapprochera de ce foyer de vie ; les rayons obliques vont se redresser ; la chaleur et la lumière, au lieu d’effleurer son corps en rasant la terre, le pénétreront avec le sol qui le supporte et l’air qui l’environne, jusqu’à ce qu’enfin, arrivé sous l’astre lui-même, il habite pour ainsi dire dans les ondes embrasées qu’il répand.

La Grèce, sans doute, n’est point le pays de la terre où le soleil soit le plus ardent, et, quoique la température moyenne dans ce pays soit plus élevée qu’en France, les grandes chaleurs de l’été ne sont pas supérieures à celles de nos provinces méridionales et de certains jours de Paris ; mais l’hiver est plus chaud, les étés plus longs, les montagnes plus arides et plus rapprochées de la mer, en un mot l’air est infiniment plus sec et l’atmosphère plus pure. Celui qui, au temps du solstice, viendrait de Paris à Athènes, et qui lirait dans la République de Platon les premières pages du septième livre, celui-là, sans aucun doute, croirait lire sa propre histoire et se reconnaîtrait dans l’homme de la caverne. Quand nous avons passé la moitié de notre vie sur les rives humides de la Seine et sous les ombres de notre ciel, nos yeux accoutumés à la mollesse d’un demi-jour et à des rayons éteints par les vapeurs de l’air, supportent avec peine l’éclat d’un soleil nouveau ; toute surface blanche ou polie, le ciel imprégné de lumière, le sol aride et pierreux, tout ce qui brille dans la plaine d’Athènes est fait pour blesser la vue délicate des habitans du nord. Du reste, les Grecs eux-mêmes ne sont guère moins sensibles que nous à l’éclat de leur soleil, et dans la saison d’été ce n’est pas seulement pour éviter la chaleur du jour qu’ils s’enferment dans leurs maisons, c’est aussi pour y chercher une lumière plus douce et moins meurtrière.

Il ne faut donc pas s’étonner si les anciens Grecs ont peint leurs temples, car c’était pour en adoucir l’éclat. Leur esprit si subtil en matière d’analyse, si habile à trouver les raisons des phénomènes, en avait personnifié un grand nombre en les idéalisant ; aucun peuple n’a poussé plus loin la métaphysique de l’art. Quel artiste dans aucun pays a mieux que Platon décrit la marche de l’ame qui, jetée au milieu des objets physiques, s’en sert comme de degrés pour atteindre à l’idée pure, à l’idée immatérielle et divine ? Or, rien n’est plus contraire au libre travail de la pensée que la douleur, et celui-là est dans la pire condition pour concevoir l’idée de la beauté qui se sent blessé dans l’organe destiné à la recueillir, et par l’objet même qui la lui présente. Quand cette raison serait la seule que l’on pût alléguer, quand on ne trouverait pas soit dans les auteurs anciens, soit