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sous les bosquets, dans le parc, sur la pelouse, partout. Des voix lointaines, des musiques cachées sortaient du fond des buissons de roses, des haies de myrtes, et donnaient une ame harmonieuse à la nuit ; on causait sur les bancs de gazon, on se poursuivait en riant, on dansait sous les charmilles, les hommes dans leurs plus riches habits de soie, les femmes sous des costumes mythologiques d’une élégance et d’une fraîcheur idéales ; nymphes de Watteau, dryades de Lancret, néréides de Boucher, toutes en souliers de satin blanc, comme à l’Opéra, ayant des thyrses à la main, des ailes de gaze aux épaules, des paniers, de la poudre et des mouches au coin des lèvres ; laissant voir un peu de leurs jambes, un peu de leur sein, un peu de leurs dents. Cette vie dorée ne pouvait durer toujours ; elle dura cependant beaucoup plus long-temps que ne l’imaginaient les plus sages ou les moins fous : elle se soutenait ainsi depuis six ans ; mais une minute fatale et prévue y mettrait un terme, pensaient-ils en regardant le visage fatigué de Louis XV.

Les paroles menaçantes de l’abbé de Beauvais l’avaient ému ; elles le travaillaient intérieurement. La mort du marquis de Chauvelin, qui avait le même âge que lui, et qui était son ami particulier, le compagnon assidu de ses chasses, le confident de ses plaisirs, augmenta sa mélancolie. Une espèce de terreur noire passa de son imagination dans son sang, qui se trouva disposé à recevoir les germes meurtriers de la petite vérole, Les uns veulent que ces germes lui aient été inoculés par le contact d’une jeune fille de la campagne ; d’autres, comme Voltaire dans son Siècle de Louis XV, prétendent qu’il gagna cette terrible maladie par la peur de l’avoir. Le roi aurait rencontré pendant une partie de chasse un homme chargé d’une bière ; il lui aurait demandé quelle maladie avait enlevé la personne qu’il portait en terre. Il aurait appris que c’était la petite vérole, et aussitôt le même mal l’aurait frappé et tué en quelques jours. La fortune de Mme Du Barri pencha tout à coup comme une tour dont les fondations croulent. Cependant, aux derniers momens du roi, elle fut encore assez puissante, aidée, il est vrai, par Bordeu, le premier médecin du château, pour empêcher l’archevêque de Paris, M. de Beaumont, d’approcher du lit du malade, sachant bien qu’elle serait forcée de s’en éloigner aussitôt. Elle ne le quitta que cinq jours après l’invasion du mal, et lorsqu’il n’y avait plus d’espoir. Elle attendit même que Louis XV exigeât son départ de Versailles. Elle se rendit à Ruel, au château de la duchesse d’Aiguillon, où elle trouva déjà le lit bien dur. Ruel était pourtant la maison princière habitée jadis par le cardinal de Richelieu, occupée, quand la favorite y coucha, par le courtisan le plus délicat de la monarchie. Le lendemain, on alla à Luciennes chercher des matelas plus doux pour cette disgrace si peu accommodante. On vit bientôt se renouveler la grande