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lis. Tout cela est onduleux, fier, distingué et tendre. Peintre et écrivain, Mme Lebrun, qui peignait, c’est son expression, tous les rois de la terre, a fait aussi un magnifique portrait à l’huile de la fameuse favorite. Ce tableau, qui est la propriété de M. de Rivière, neveu de Mme Lebrun, fut exécuté à Luciennes, où il est encore.

Mme Du Barri se conserva long-temps belle. En 1781, et elle avait alors trente-six ans, elle produisit sur le comte d’Allonville une impression qu’il rapporte ainsi dans ses Mémoires, en général fort peu indulgens pour la favorite : « Je vis Mme Du Barri lors de son voyage en Normandie pour aller y visiter le duc de Brissac. En l’examinant, je ne pouvais concilier ce que j’avais lu d’elle et ce que sa figure annonçait ; l’on ne trouvait en rien les traces de son ancien état dans la décence de son ton, la noblesse de ses manières, et ce maintien également éloigné de l’orgueil et de l’humilité, de la licence et de la pruderie ; sa vue seule réfutait tout ce qui a été publié sur elle. D’ailleurs, elle me paraissait extrêmement agréable, et j’eusse trouvé tout simple qu’elle inspirât encore des passions comme elle s’était acquis de véritables amis. »

Le roi et Mme Du Barri aimaient à déjeuner dans cette pièce, dont la disposition permet de voir à la fois le paysage qui court du côté de Versailles, et celui qui s’étend de coteau en coteau vers Saint-Germain ; situation enchantée, unique au monde, merveilleuse au milieu de toutes ces merveilles enfermées dans un triple cercle d’azur, d’air et d’eau, car la Seine est au pied et court sous la forme d’un croissant d’argent. Quand le vent souffle sur cette hauteur, et il y souffle presque toute l’année, on sent au visage et au cœur un frisson de plaisir comme si l’on planait doucement au-dessus de la terre. La fraîcheur de la Seine, le chant des oiseaux, la lumière dorée du soleil, le vent qui vient de la forêt, les senteurs amères du parc, forment un ensemble harmonieux qui berce tous les sens. On croit boire la lumière dans une coupe d’air.

Louis XV se nourrissait toutefois d’une façon infiniment plus substantielle lorsqu’il déjeunait au pavillon Du Barri. Héritier des traditions gastronomiques du régent, il mangeait bien et beaucoup. Il était d’ailleurs obligé de renouveler souvent des forces qu’à soixante ans passés il dépensait encore avec la prodigalité d’un jeune homme. Il aimait passionnément le vin de Champagne, et il buvait avec trop peu de ménagement le vin de Bordeaux, connu déjà depuis long-temps, mais récemment mis à la mode par le duc de Richelieu. Zamore, le jeune nègre, servait à table en costume d’Africain d’opéra-comique, avec une coiffure de plumes de diverses couleurs et des bracelets d’or aux chevilles et aux poignets. On sait que le nom de Zamore lui avait été donné par Mme Du Barri, afin de flatter l’orgueil de l’auteur d’Alzire. Ce luxe d’avoir un négrillon à sa suite datait déjà de bien loin, il remonte aux temps des croisades. Cependant on parla beaucoup dans le monde du nègre Zamore.