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par un homme de marque ou par une femme titrée et établie ordinairement dans les grandes privautés du château. Ce fut un coup de fortune pour Mme de Béarn d’accepter une fonction unanimement repoussée avec dédain par toutes les autres dames de haut parage, tremblantes devant le sceptre des Choiseul, uniques distributeurs des pensions, des places et des cordons. On paya ses dettes, on plaça ses fils, on se souvint enfin de sa famille. La présentation fut pourtant retardée ; les Choiseul conseillèrent la résistance aux princesses. Que fit alors le roi ? Il donna les appartemens de feue la dauphine à sa maîtresse, qu’il avançait ainsi d’un grade, ne pouvant lui accorder le premier. A ses yeux, les appartemens de Mme de Pompadour ne devaient plus lui suffire. Cependant la haine ne cessait de grossir contre elle, qui, toujours gaie, charmante et bonne, s’écriait en lançant des oranges sous les plafonds d’or de Versailles et en les ramassant : Saute, Choiseul ! saute, Praslin ! M. de Praslin était le cousin du duc de Choiseul ; c’est lui que le duc fit nommer ministre des affaires étrangères quand il réunit, pour les diriger, la guerre et la marine. Toujours d’accord, ils partagèrent les mêmes succès, les mêmes revers. Lorsque le duc de Choiseul fut exilé à Chanteloup, le duc de Praslin fut envoyé à Vaux. L’un et l’autre méritent les hommages et la reconnaissance de la France pour avoir accompli des négociations honorables dont les résultats subsistent encore.

Comme il était à craindre que le roi, se blasant peu à peu sur les charmes de la comtesse, ne devînt plus difficile avec le temps sur la question de la présentation, il fallait enlever cette question, n’importe à quel prix. Jean conseilla et indiqua les grands moyens. Mme Du Barri, après quelques jours de langueur et de tristesse, se jeta toute en larmes aux pieds du roi, et lui demanda de la sauver des injures de ses ennemis en lui accordant d’être présentée. Cette marque d’estime les réduirait au silence ; sinon elle mourrait de honte et de douleur. Peut-être, en parlant ainsi, était-elle sincère : il n’est pas d’origine si méprisée qui fasse endurer à une femme jeune et belle les humiliations et les outrages de gens dont elle n’a, par aucune action injuste, provoqué la méchanceté. On lut bientôt dans les nouvelles : « Le vendredi soir 21, en revenant de la chasse, le roi annonça qu’il y aurait une présentation le lendemain… qu’elle serait unique… que c’était une présentation dont il était question depuis long-temps… Enfin on déclara que ce serait celle de Mme Du Barri.

« Le soir, un bijoutier apporta pour cent mille francs de diamans à cette dame.

Le lendemain, l’affluence fut si grande, qu’on la jugea plus nombreuse que celle occasionnée précédemment pour le mariage de M. le