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pas sans quelque intérêt que la famille Du Barri compte encore des descendans, et des descendans fort honorables, à Toulouse et à Pompignan. Un fils naturel du mari de Mme Du Barri a servi avec une grande distinction pendant les guerres de l’empire.

L’élévation de Mme Du Barri ne data pas du jour où elle devint la maîtresse de Louis XV. La fortune tient aussi en réserve ses jours d’épreuves pour ceux qu’elle protège. Une femme, une rivale, intrigante, vive, jalouse, spirituelle, la sœur du duc de Choiseul, en un mot, osa protester contre l’élection de la nouvelle bien-aimée. La duchesse de Grammont, appuyée de la haine de sa sœur, la comtesse de Grammont, se crut assez forte et sans doute assez blessée pour lever le drapeau de la révolte. Elle était de ces personnes particulièrement délicates dont nous avons parlé au début de cette histoire, qui ne trouvent pas inconvenant, qui trouvent même fort naturel qu’un roi ait une maîtresse, mais qui rougissent et s’indignent s’il la prend ailleurs que parmi sa noblesse. La victoire sur Mme Du Barri devait assurément lui paraître facile, à elle sœur du ministre le plus influent, le plus absolu qui fût encore entré dans le cabinet de Louis XV. M. de Choiseul plaisait beaucoup au roi par l’extrême légèreté avec laquelle il traitait les affaires les plus graves et les plus embrouillées ; il n’en parlait qu’au bal, pendant la chasse, au milieu du souper ; il les effleurait, les terminait en causant, et sa causerie brillante, gaie, épigrammatique, n’en présentait que la fleur. Entre les aventures de la veille et la chronique de l’Opéra, il examinait l’état de l’Europe. Un bon mot adoucissait l’impression fâcheuse produite par une mauvaise nouvelle ; un madrigal préparait à la demande d’un impôt. Il mettait des mouches et du rouge à la politique. Il n’en chassa pas moins les jésuites.

Les Du Barri tentèrent de se rapprocher des Choiseul ; ceux-ci se hérissèrent : que leur voulaient ces gens-là ? La duchesse de Grammont ne se contenta pas, comme son frère, de répondre par le mépris : elle s’indigna, elle éclata, elle jeta feu et flamme ; elle courut, la rage aux lèvres et le fouet à la main, de château en château, d’hôtel en hôtel, de porte en porte, véritable furie, pour rallier le ban et l’arrière-ban de la noblesse contre cette femme impudique, sans aveu, sans nom, sortie des pavés de Paris, entre une halle et un charnier. Elle la fit connaître, la dévoila avec cruauté, la noircit, la ridiculisa, la traîna par les cheveux à travers les salons, paya pour qu’elle fût déchirée dans les gazettes, nouvelles à la main, bulletins ; enfin, toute méchante et toute puissante qu’elle était, elle parvint, sous l’approbation expresse ou tacite du lieutenant-général de police, M. de Sartines, à publier contre Mme Du Barri une chanson infâme, qui, chantée sur l’air de la Bourbonnaise, devint bientôt populaire à Paris et dans toute la France. Voici le seul couplet qu’il soit permis de citer :