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état de choses ne dura guère moins de cinq ans, depuis 1827 jusqu’en 1832, et, quoiqu’il y eût plus d’un enseignement à tirer de l’étude de ces faits, je les passerai sous silence pour arriver au dernier acte du drame dont Pincheyra est le héros.

L’existence d’un chef de partisans survivant à la cause qu’il représente avait quelque chose de trop anormal pour qu’elle se prolongeât indéfiniment. Par le seul fait du rétablissement de la paix et de la consolidation des républiques nouvelles, déjà reconnues des puissances d’Europe, Pincheyra sentait diminuer son influence sur les populations ; la faction espagnole ne pouvait plus fonder sur lui les mêmes espérances. Il est vrai que les mutineries de quelques régimens chiliens avaient fourni à Pincheyra beaucoup de déserteurs qui se jetaient dans son parti par esprit de vengeance ; les Indiens Pehuenches lui prêtaient aussi le concours de leurs hordes, dont le nombre équivalait et au-delà à celui des alliés de même race qui s’étaient retirés de son camp. Les événemens prouvèrent que, pendant ces quelques années, les Pincheyras se trouvaient matériellement plus forts que jamais ; cependant ils avaient beau se dire soldats du roi, on ne voyait en eux que des brigands organisés. Du haut de son aire, Pablo Pincheyra pouvait encore traiter de puissance à puissance avec le gouvernement nouveau ; mais il aima mieux braver jusqu’au bout un pouvoir sans prestige à ses yeux. Peut-être même ne prononçait-il le nom de Ferdinand VII que pour blesser plus cruellement l’orgueil des républicains, et il fit tant que la fortune enfin l’abandonna.

En janvier 1832, un corps de mille hommes et plus, infanterie et cavalerie, précédé d’une centaine d’Indiens qui servaient d’éclaireurs, arrivait au pied des Andes. Le gouvernement venait de déclarer, dans des proclamations pleines d’emphase, mais fort énergiques, qu’il voulait en finir avec ces hordes de desesperados, la honte et le fléau du pays. Il était temps ; les bandits, habitués à l’impunité, se montraient dans les campagnes à une grande distance de leurs retraites ordinaires. Leur nombre semblait se multiplier chaque jour, et les Indiens Pehuenches, qui les soutenaient, montraient une audace et une avidité de pillage qui faisaient tout fuir devant eux. Il s’agissait de savoir définitivement à qui appartiendrait le territoire si long-temps disputé, et si on obéirait, dans les régions voisines des Andes, au gouvernement établi ou à Pincheyra. Cette grave question, l’armée qui entrait en campagne devait la résoudre. Il y a lieu de croire que l’ennemi ne se savait pas si sérieusement menacé ; les troupes étaient arrivées à quatre-vingts lieues du camp des insurgés, à l’endroit nommé Roble Gaucho. Là demeurait Vallejos, le secrétaire de don Pablo Pincheyra ; ce dernier s’y trouvait en personne, avec deux ou trois de ses partisans, paisiblement assis et ne redoutant aucun danger. Tout à coup un détachement de grenadiers