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la campagne. Un autre cacique et cent cinquante guerriers des montagnes, jaloux de la puissance de Marilaun, qu’on appelait le cacique des plaines, venaient de se rallier aux troupes du colonel Beauchef, et celui-ci avait hâte de se les attacher en les compromettant au début de l’expédition. Le premier résultat de cette tactique fut un avantage de quelque importance remporté sur une petite troupe de Pincheyras campée au fond d’un ravin à l’entrée des Andes. Dans cette rencontre, où les Indiens auxiliaires se montrèrent assez braves, les troupes républicaines enlevèrent une centaine de chevaux, une cinquantaine de boeufs, et firent prisonnières quinze familles. Parmi les captifs se trouvèrent les deux sœurs de Pincheyra lui-même.

Ici don Eugenio se leva pour chasser un grand chien maigre qui se couchait sans façon sur ses jambes, car nous étions étendus à la porte de l’hacienda, au milieu des chevaux et des mules ; le maître du lieu nous avait fourni des cuirs de bœuf qui nous servaient de lits, et nous nous couvrions de nos manteaux pour nous abriter contre la rosée.

— Et que devinrent ces deux captives ? demandai-je à Eugenio.

— Je n’aurais pas voulu me trouver à leur place, reprit-il ; ces soldats étaient fort animés, mais, par bonheur, elles avaient commis une bonne action, et, comme une bonne action n’est jamais perdue, elles en eurent la récompense. Quelques années auparavant, un jour de fête, on célébrait la messe dans une vaste et riche hacienda de la province du Maule ; maîtres et serviteurs chantaient l’office, quand Pincheyra, tombant comme une bombe au milieu de ces paisibles habitans, pille et saccage l’église, ruine les maisons, tue les hommes et enlève les femmes. La nièce du propriétaire de l’hacienda fut au nombre des victimes ; son oncle put la racheter moyennant une grosse somme d’argent, et, comme il apprit d’elle que les sœurs de Pincheyra avaient adouci sa captivité par leurs bons traitemens, il réclama ces deux femmes quand le sort des armes les livra à la colonne d’expédition. Le vieux colon donna donc l’hospitalité aux deux prisonnières ; mais celles-ci, préférant la liberté à la plus douce prison, s’échappèrent bientôt pour aller rejoindre leurs maris et leur frère.

Pincheyra avait perdu son camp avancé : un second détachement envoyé par lui éprouva un échec assez considérable, et le colonel Beauchef, après une marche forcée de seize lieues dans les montagnes, se porta sur le camp même des bandits, laissant à l’un de ses officiers l’ordre d’attaquer sur un autre point. Jamais encore le chef de partisans ne s’était vu serré de si près et si vigoureusement traqué ; mais ces dispositions et d’autres habilement prises par les généraux de la division du sud furent en partie paralysées. Les Indiens auxiliaires, qui craignaient de voir leur pays pillé par les caciques ennemis, hésitèrent à exécuter les ordres précis que leur transmettaient les officiers ; de faux