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trouve à souhait ce qu’il y a de plus gracieux et de plus imposant sur la terre : des prairies, des forêts et des montagnes. Aussi s’y est-il rencontré des habitans qui, épris de la beauté de ce petit Éden, ont trouvé le secret d’y vivre en paix au milieu des horreurs de la guerre. — Après avoir parcouru plus de cent lieues d’un terrain désolé, la colonne expéditionnaire du sud fit halte chez un Espagnol de la frontière dont l’habitation seule était restée intacte. Aimé des blancs, vénéré des sauvages, qui l’appelaient leur père, respecté des bandits, qui admiraient ses vertus, ce sage voyait ses moissons, ses vignes et ses vergers fleurir et fructifier, quand le fer et la flamme ravageaient tout autour de lui.

La division du sud suivait avec résolution et à travers mille fatigues les plans que le général en chef lui avait tracés ; partout où elle passait, sa présence produisait d’heureux résultats. Les habitans en voie d’émigration retournaient à leurs foyers ; des brigands, qui s’étaient aventurés témérairement hors des montagnes, se retirèrent non sans laisser entre les mains des soldats quelques-uns des leurs morts ou prisonniers, et des captifs abandonnés par eux furent rendus à leurs familles. Cependant le corps des insurgés ne se montrait pas. Pincheyra avait compris que cette marche régulière de deux armées qui combinaient leurs mouvemens lui serait funeste s’il s’éloignait des Andes. La seconde division (celle qu’on appelait la division de la Cordilière), en se dirigeant en ligne droite vers les montagnes, le menaçait pour ainsi dire jusqu’au cœur de ses états. Il l’épiait dans sa marche avec d’autant plus d’inquiétude, que la désertion se mettait parmi ses adhérens. Contre cet homme insaisissable, on commençait à recourir aux derniers moyens ; on détachait de lui ses alliés, on cherchait à l’affaiblir et à le décourager.

Depuis quelque temps déjà, l’Espagnol Zinozain avait quitté le fort de Pincheyra pour former un camp séparé avec un cacique influent nommé Marilaun. L’Européen regrettait l’Europe ou au moins la civilisation des villes, dont il se sentait exilé ; le sauvage flairait de loin les beaux présens qui seraient le prix de sa soumission, et tous les deux songeaient à capituler, Un Français établi de longue date sur la frontière et habitué à traiter avec les habitans de ces solitudes fut l’agent que Zinozain choisit pour entamer les négociations, et comme un autre de nos compatriotes, le colonel Beauchef, commandait cette division des Andes, le chemin se trouva tout tracé pour arriver jusqu’au général en chef. Cependant le rusé cacique ne se hâtait pas de conclure la paix, espérant faire payer plus cher sa défection ; puis on était dans la saison de la chicha, c’est-à-dire à l’époque où, après avoir récolté les pommes, on en extrait la liqueur enivrante ainsi nommée, qui fait les délices des Chiliens civilisés ou sauvages. On laissa donc pour l’instant le roi-pasteur s’occuper avec ses sujets de cette importante affaire, et on continua