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marchait au nom de l’Espagne et de Ferdinand. Ainsi, quand toute l’Amérique proclamait son indépendance, quand cette indépendance allait être reconnue par les puissances européennes, deux ou trois caciques et un obscur officier levaient la bannière des rois catholiques là où jamais peut-être elle n’avait flotté. En se joignant à Pincheyra, Zinozain lui donna ce qui lui manquait encore, un drapeau, un mot de ralliement, qui lui valut bientôt le concours ostensible ou caché de la faction espagnole. Parmi ces bandits, qui, pour la plupart, étaient nés au Chili, il représenta l’Europe, dont la troupe tout entière prétendait défendre les intérêts.

Le 1er décembre 1825, l’armée royale, composée de deux cents soldats et soutenue par six cents Indiens, se mit en marche dans la direction du district de Chillan. L’alarme se répandit aussitôt dans toute la province, et des ordres furent expédiés à la garnison du chef-lieu pour qu’elle s’opposât au passage des Pincheyras, dont on ignorait les véritables forces. Un escadron de cavalerie et un détachement d’une centaine d’hommes furent tout ce que le commandant put réunir autour de lui ; avec cette poignée de braves, il courut au-devant de l’ennemi jusqu’à une hacienda dont les maisons fortifiées lui offraient un point de défense respectable ; mais, dans son empressement à protéger les propriétés et les troupeaux des habitans contre le pillage des bandits, il poussa en avant suivi de ses dragons. Des renforts marchaient de San-Carlos et de Talca pour se joindre à lui ; il négligea de les attendre et s’élança au galop à la tête de sa cavalerie contre les soldats de Pincheyra. Une paire de boules lancée par un des bandits exercés au maniement de cette arme terrible abattit à l’instant même le cheval du commandant ; les Indiens, débordant sur les côtés avec de grands cris, enveloppèrent les troupes républicaines. Les longues lances des sauvages atteignirent de toutes parts ceux qui cherchaient à se faire jour à coups de sabre. Ce fut une horrible boucherie. Les Pincheyras avaient remporté une victoire complète. Du côté des Chiliens, un officier et six soldats échappèrent seuls au carnage, et, à moitié suffoqués par une longue course que la frayeur ne leur permettait pas de ralentir, ils portèrent à Chillan la nouvelle de la défaite et du massacre de leurs compagnons. Le combat s’était engagé près de l’hacienda de Longabi, dont il a gardé le nom.

Ces derniers mots furent prononcés par don Eugenio à voix basse, et comme s’il eût craint d’être entendu. — Vous oubliez donc que nous parlons français et que personne ici ne nous comprend ? lui dis-je en riant un peu de sa précaution. D’ailleurs, ce que vous racontez appartient à l’histoire.

— C’est vrai, répondit-il ; mais cette défaite blessa l’orgueil des fils du pays. C’est un souvenir qu’on doit éviter de rappeler devant eux. D’abord on refusa de croire à cette déroute, puis on en parla furtivement