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trouve toujours beaucoup en Amérique et ailleurs dans les temps de troubles. Il acquit rapidement l’importance d’un chef de partisans, et se montra à la hauteur du rôle que les circonstances le portèrent à prendre. Il était adroit, astucieux, hardi jusqu’à la témérité, brave comme un homme dont la tête est mise à prix, et savait se faire obéir. Sans doute parmi les volontaires enrôlés dans sa troupe il se trouvait des Européens, des officiers de l’armée espagnole, qui pouvaient lui disputer le commandement. Les Indiens, que la soif du pillage entraînait sur ses pas et attachait moins à sa personne qu’à sa fortune, formaient aussi un corps d’auxiliaires difficiles à conduire ; mais Pincheyra, à demi sauvage lui-même, avait sur les uns comme sur les autres une supériorité incontestable. Aux Indiens il ouvrait la route des habitations, aux proscrits il offrait un asile, aux vaincus il donnait l’occasion de se venger ; il était celui qui dirigeait, en les excitant, les passions de tous.

Au commencement de l’année 1825, Pincheyra voulut essayer ses forces ; il se dirigea avec sa bande sur Curico, dans la province du Maule. Remarquez qu’on ne l’attaquait pas ; il prenait l’offensive. Les habitans du district, frappés de terreur, ne songèrent pas même à se défendre ; de la campagne on se sauvait vers la ville ; de la ville on fuyait vers le chef-lieu de la province. Le gouverneur lui-même, pressé de mettre en sûreté ses femmes, ses enfans et sa propre personne, avait émigré, abandonnant la place aux entreprises de l’ennemi. Déjà une famille qui s’était aventurée dans les Andes pour passer à Mendoza avait été enlevée par les bandits. Toute la population, en proie aux plus vives alarmes, tenait ses regards fixés sur la Cordilière, dont Curico n’est éloigné que de trois lieues, croyant entendre à chaque instant les cris terribles que poussent les Indiens au moment de l’attaque. Cependant, au milieu de cette panique générale, la nouvelle se répandit que les soldats chiliens, qui devaient venir prêter appui à la population menacée, arrivaient enfin après avoir été retardés dans leur marche par le manque de chevaux. On reprit courage ; quelques citoyens, plus braves que les autres, parlèrent d’armer la milice. On arrêta l’émigration, on fournit des chevaux à la cavalerie, presque entièrement démontée, et autour du détachement de troupes régulières qui formait le noyau de la garnison, se groupèrent environ cent cinquante miliciens, armés de mousquets, de lances et de sabres.

Pincheyra avait été prévenu. Il savait que les Indiens, dont le choc en rase campagne est presque irrésistible, n’aiment pas à se lancer avec leurs chevaux à travers les murs, les haies, les plantations qui entourent une ville ; aussi renonça-t-il à une attaque en règle. Après une escarmouche avec un corps de soldats qui poussait une reconnaissance dans la plaine, son avant-garde se retira, par un défilé qui la mettait à l’abri de toute poursuite, au cœur même de la Cordilière.